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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/586

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veut transporter l’usine et poser, dans les roses et le chèvrefeuille, de clairs cottages d’artisans ; écoles primaires des grandes villes, où l’on s’efforce, par des images et des fleurs, par des promenades à la campagne, aux jours de congé, par des excursions de vacances, des baignades en été dans les rivières des grands parcs[1], de rendre à l’enfant quelque chose des paradis perdus, — où tout son être, et non plus seulement son cerveau, trouve sa nourriture, l’objet propre de l’éducation nouvelle étant surtout, en luttant contre les dégénérescences, en surveillant les nerfs, le corps et toute la vitalité de la petite créature, en adaptant l’enseignement à ses instincts de jeu et de mouvement, de préserver, fortifier, entraîner les jeunes énergies qui seront un jour l’énergie de la nation. Ajoutez les settlements, les « maisons du peuple » à la ville, les assembly rooms et clubs de village à la campagne, où les pauvres gens viennent, non se troubler et s’exciter la cervelle à d’ambitieux et incohérens programmes de conférences philosophiques, mais dans un décor net et plaisant, avec des livres, des journaux, des jeux, du thé, parfois un peu de théâtre, des lectures à haute voix de romanciers et de poètes, apprendre ce qu’ils ignoraient hier dans la sombre monotonie de leur misère et de leur solitude : un peu de vie fraternelle, quelque volonté de bien-être et de bonheur.

Dans toutes ces tentatives remarquez la foi dans le rôle éducateur et vivificateur de la beauté. Là, surtout, l’influence de Ruskin s’atteste, indépendante de toutes les autres. Non qu’il ait prêché, en esthète, le culte de la beauté[2] ; jamais il ne l’a présentée comme l’absolu auquel il faut subordonner la vie. Lui-même l’a répété : « Le seul art essentiel est celui qui pose sur la joue de l’homme le rose de l’innocence et de la santé. » C’est la beauté qu’il subordonne à la vie, — pour la réconforter, cette vie, pour l’animer des pures énergies, des divines volontés dont toute perfection d’apparence est, à ses yeux, le signe. Nul doute qu’un effort en ce sens ne soit visible en Angleterre. Effort parfois voulu et réfléchi, et qui fait alors partie de la lutte organisée contre toutes les tristesses sociales, bien plus souvent inconscient,

  1. En juin et juillet, à Londres, vers cinq heures, on peut voir les bords de la Serpentine, à Hyde Park, couverts d’enfans nus que les maîtres des écoles primaires mènent se baigner là.
  2. «… The Renaissance which was the worship of the god of Pride and Beauty. » (Crown of Wild Olive, § 68.) Ceci pour condamner la Renaissance dont on sait ce que pensait Ruskin.