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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/691

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la défense, » devient ainsi la grande pourvoyeuse qui donne à la nation le travail et le pain. Mais, que le passage se ferme, que les navires s’arrêtent, et c’est la respiration du peuple anglais qui s’interrompt. Dominer les mers est pour lui, non pas l’inutile orgueil d’une vaine ambition, mais la loi nécessaire de l’existence et le principe même de la vie.

Comment en temps de guerre assurer à la multitude le travail et le pain ? L’Amirauté n’a qu’une réponse : élever les dépenses navales pour n’avoir pas à craindre de jamais perdre le commandement de la mer.

En présentant aux Communes le Naval Defence Bill de 1889, le premier lord de l’Amirauté, lord George Hamilton, expliquait ainsi le principe, déjà connu, mais désormais fameux, du two powers standard : « J’ai relu les discours de mes prédécesseurs, pour connaître l’idée supérieure qui les avait guidés quand ils parlaient du degré de force auquel notre marine devait être maintenue. Je pense les interpréter exactement en disant que cette force devrait être au moins égale à celle de deux autres pays, quels qu’ils fussent. » Mais la double égalité, d’abord fixée sur l’étalon franco-russe, puis sur l’étalon franco-allemand, en attendant qu’elle se fixe sur un étalon germano-américain ou sur un double étalon allemand, pourra-t-elle toujours, indéfiniment, se maintenir ? Les alliances sont kaléidoscopiques. Avec la progression maritime des nations rivales et notamment de l’Allemagne, le peuple anglais, moins nombreux et plus imposé que le peuple allemand, sera-t-il capable de soutenir longtemps un si ruineux effort ? Et, supposé que, par un tel sacrifice, la Grande-Bretagne ait la certitude militaire du succès final, est-ce encore assez ? Non, car la maîtrise de la mer, même certaine, peut être un instant débattue. Tarde-t-elle ? Les navires qui portent le blé, les bestiaux, les conserves, le coton, la laine, sont arrêtés sur les grand’routes du globe par un ennemi, même faible, mais rapide et toujours dispersé : les uns sont enlevés ; les autres, inquiets, s’immobilisent dans les ports ; la crainte de la prise est plus nuisible que la capture. Les vivres deviennent plus rares, d’autant plus rares que l’Angleterre n’a devant elle, à certains momens, que six semaines de blé ; le pain monte, le chômage apparaît : « Notre démocratie, dont la voix au Parlement est irrésistible, pourra-t-elle soutenir un tel effort ? » demandent les Anglais. Ce n’est pas la défaite, c’est la seule