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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/716

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leur échappât. On demandera peut-être ce qu’en pensent les habitans de la province. L’empereur Napoléon III, dans son rêve plein de bonnes intentions, aurait dit : c’est bien simple, il n’y a qu’à consulter les populations. Mais ce n’est pas aussi simple que cela. On ne sait trop ce qu’en pensent les populations ; elles se gardent bien de le dire, parce que les Grecs leur envoient des bandes armées pour leur persuader qu’elles sont grecques, et que ces bandes massacrent tout ce qui parait en douter ; que les Bulgares envoient, de leur côté, des bandes qui massacrent tout ce qui ne veut pas être Bulgare ; enfin que les Serbes, moins forts, mais non moins ambitieux, se livrent eux aussi, dans la mesure où ils le peuvent, à des exercices de nationalisation de même genre. Les Turcs, eux, ne demandent pas aux habitans de la Macédoine d’être Turcs, mais Ottomans, et, de temps en temps, ils massacrent aussi tout ce qui ne veut pas l’être. Et il y a toujours des Macédoniens, tant les races humaines s’obstinent à vivre, en dépit des coupes sombres qu’on y opère ! Mais les Macédoniens sont bien malheureux. Si on ajoute, en effet, à ce qui précède, qu’ils ont le plus mauvais gouvernement, ou plutôt la plus détestable administration connue en Europe ; que tout le monde les piétine et les pressure ; qu’ils paient deux ou trois fois, entre des mains successives, les impôts auxquels ils sont condamnés ; enfin qu’il n’y a pour eux aucune justice assurée, on aura une idée qui commencera à être complète du lot que la politique leur a décerné dans la distribution des conditions humaines.

L’Europe y fait ce qu’elle peut, mais elle n’y peut pas grand’chose. De temps en temps, les divers gouvernemens échangent des vues à ce sujet, dressent des programmes de réformes qu’ils soumettent au Sultan, et essaient de les lui faire accepter en exerçant sur lui ce qu’on appelle une pression ; mais le Sultan laisse la pression s’exercer, étudie minutieusement ; le programme, fait des objections, et les choses en restent là. Le Sultan sait, en effet, que les divers gouvernemens ont des cliens divers parmi les nationalités balkaniques, cliens dont ils ne peuvent abandonner les intérêts et dont ils doivent même un peu servir les passions ; il y a même un gouvernement dont il est personnellement le client ; de sorte que, si les choses étaient poussées à l’extrême, une guerre générale ne manquerait pas d’éclater. Heureusement personne n’en veut. Cela permet au Sultan d’en prendre à son aise avec les revendications et les réformes qui lui sont présentées. Toutefois, dans ces dernières années, quelques atténuations encore peu sensibles, mais cependant effectives, ont été apportées à