Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« La plupart des femmes ; n’ont pas besoin d’être aimées, disait-elle ; elles veulent seulement être préférées. » Combien de fois Le Hagre s’était arrêté à cette phrase, comme à la formule qui résumait le mieux ses expériences personnelles ! Elle poursuivait : « Je ne fais qu’aimer, je ne sais qu’aimer. » Puis encore : « J’ai ce certain genre, le seul mauvais, à ce que dit Voltaire ; je l’ose nommer, et je vous en ai si bien pénétré que je n’ai pas besoin de vous dire que c’est le genre ennuyeux. »

— Quelle femme ! concluait Le Hagre. Ou plutôt, ce n’est pas une femme, c’est la femme ! Et quelle belle intrépidité d’oser tenir tête à ce maître daubeur, à ce cœur sordide en qui s’affichait son siècle, Arouet !… Et dire, ajoutait-il mélancoliquement, que la femme n’existe pas !

Et en effet, Julie elle-même, dans la conscience troublée du jeune homme, avait fini par se muer en une créature de légende ; il la voyait telle une princesse chimérique inséparable de ses songes ; et ces Lettres, marquées au coin de la passion qui tue, éphémérides émouvantes de la plus réelle, de la plus effroyable des tragédies, étaient-elles autre chose qu’un beau roman ? Il se le demandait, anxieux, tant la disproportion qu’il constatait entre les sentimens de Julie et ceux des poupées rétives qu’il avait successivement essayées le prédisposait au scepticisme. Au demeurant, et quelque pressentiment qu’il eût d’une vérité moins décourageante, il s’en tenait, à l’endroit de la femme, à ces aphorismes de Nietzsche, où d’elle-même s’encadrait, prenait figure de système, sa propre expérience :


Des chattes, voilà ce que sont toujours les femmes, des chattes et des oiseaux.

Au fond du cœur, l’homme n’est que méchant ; mais au fond du cœur, la femme est mauvaise.

Un homme qui possède de la profondeur dans l’esprit comme dans les désirs ne pourra jamais avoir de la femme que l’opinion orientale.


Il les avait transcrits, ces aphorismes du grand Allemand, de sa chaude et volontaire écriture, sur une feuille de vélin. Un peu au-dessous, et tenant le milieu de la feuille, se tordait, en une spirale de mots, la réflexion de Julie sur son sexe, rapportée plus haut. Plus bas, et disposés symétriquement de façon à répondre, pour l’œil, aux maximes de Nietzsche, s’allongeaient noblement quatre vers de Vigny ; ils résumaient la philosophie