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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/783

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Vous, masques, ô plaisirs que rien en moi n’approuve !
Quand je passe tranquille et droite parmi vous,
Mon âme vous regarde, à travers mes yeux doux,
Sauvagement et sans pitié, comme une louve.


Son enquête terminée, Le Hagre en inventoriait les résultats. Quelques aimables compagnons, cœurs secs pour la plupart, un petit nombre de femmes d’esprit, en qui la féminité le plus souvent est déviée ou abolie, des sots en quantité, une infinité de bavards mâcheurs de niaiseries, point de passions, mais en général des mœurs de guinguette, moins le débraillé des manières : était-ce là ce « monde » important, dont rêvaient en leurs mansardes, s’il en eût fallu croire les romanciers, les jeunes hommes de talent tarabustés par la misère ! Il eût voulu leur crier, à ces forçats des tâches austères, à ces magnifiques infortunés peuplant d’apparences leur solitude, épris d’art ou curieux d’idées, il eût voulu leur dire : « Gardez-vous d’échanger, contre la banale livrée des fêtes mondaines, l’auguste indigence de vos haillons ! Ne délaissez point vos palais magiques pour l’ombre où rampent les vrais humains ! Larguez, larguez les voiles du songe, fouillez sans répit les espaces bleus et les plaines semées d’étoiles ! »

Et pourtant, — était-ce l’effet ou la rançon d’habitudes invétérées ? — Le Hagre ne se pouvait résoudre, en ce qui le concernait, à rompre enfin avec ce « monde » qu’au fond de son âme, sans trêve, il se surprenait à maudire. Quelque chose l’y ramenait, et l’y retenait malgré qu’il en eût : son culte des belles formes, des attitudes harmonieuses et des manières distinguées. Sa religion de l’énergie n’excluait point un certain raffinement ; et au contraire, il n’appréciait l’alcool des sensations fortes que dans des coupes d’un fin cristal, et ses désirs les plus fougueux s’enroulaient désespérément autour d’un rêve d’élégance. Ce goût de la force nette, dégrossie et appropriée, l’avait gardé, jusqu’à ce jour, des amours ancillaires ou crapuleuses, et s’il s’inquiétait parfois des rapides progrès de la démocratie, c’est qu’il craignait qu’elle ne nous fît un univers inesthétique. D’autres fois, il interprétait le mouvement démocratique ainsi qu’un effort pour lever la croûte d’ordure ou de saleté sous laquelle vivaient, houleux, les trois quarts de l’humanité. Il se promettait bien, un jour, d’aider ces tristes multitudes à secouer l’affreuse lèpre.