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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/882

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la neutralité est un crime. » Au surplus, Lamartine, gentilhomme et propriétaire terrien, était amené tout naturellement à la vie publique ; même, depuis qu’il avait renoncé à la diplomatie, c’était la seule carrière qui s’ouvrît devant lui. Il y aspirait en secret et quoiqu’il s’en défendît. Il était persuadé qu’il y était propre plus qu’à aucune autre, possédant ce don de double vue dont il se plaint… comme on s’en vante. Il sent sourdre en lui l’instinct oratoire, au point qu’il lui arrivera de se demander si la nature ne l’avait pas créé orateur plutôt que poète. Il y est poussé surtout par ce besoin « d’action, » dont il souffre depuis sa jeunesse, et par l’espoir informulé qu’il y trouvera le plus efficace remède à l’éternel ennui.

Il se présenta aux élections de 1831. Son beau-frère, de Coppens d’Hondschoote, avait travaillé pour lui à Bergues. Il ne fut battu que de 7 voix (181 contre 188), mais enfin il fut battu. Il se retrouvait de loisir : son échec le ramena au projet de voyage en Orient.


A BEYROUTH — SOUS LA PROTECTION DE LADY STANHOPE

D’où l’idée lui en était-elle venue ? D’abord, Lamartine a ce goût des voyages qui sévit depuis le commencement du XIXe siècle. Or, pour un homme de ce temps-là, et qui est déjà allé en Italie, il n’est qu’un voyage, celui d’Orient : outre qu’il a sans danger réel, un air d’aventure, il répond aux besoins de l’imagination et de la pensée modernes. L’Orient offre à l’imagination cette lumière, ces couleurs que, faute de les avoir vues de ses yeux, et plutôt que de s’en passer, Victor Hugo vient d’inventer dans ses Orientales. Il ouvre à la pensée un large champ de réflexions : c’est la Grèce pour l’historien des arts, c’est pour le penseur la scène de l’Evangile. Ajoutez l’intérêt politique : la question d’Orient va dominer la diplomatie européenne pendant tout le XIXe siècle. Tels avaient été déjà, ou peu s’en faut, les mobiles qui avaient attiré Chateaubriand vers Jérusalem, sans compter la vanité d’y être allé ; ce sont encore ceux qui décident Lamartine, sans oublier l’inconscient désir d’imiter Chateaubriand. Il va faire une « magnifique excursion, » se donner un spectacle qu’il veut avoir contemplé avant de mourir, compléter l’éducation de son esprit, l’élargissement de son intelligence,