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C’était l’appel que toute son adolescence avait attendu. Séparé des siens, dégagé par ses longues absences de l’esprit de parti, il était seul, libre, et voué à l’orage. Sa solitude lui pesait. Il avait cru son effort à jamais rendu stérile à cause de la contradiction en lui de deux principes également forts. « Impossible, disait-il de séparer dans mon cœur deux plantes qui y ont grandi dès le berceau. » Et voilà qu’une voix impérieuse et tendre commandait à ces deux principes de s’unir. En leur nom, on parlerait de Dieu et de la liberté ; on annoncerait aux pauvres, aux souffrans, aux opprimés, que la sollicitude de l’Eglise viendrait à eux, non seulement pour faire œuvre de charité compatissante en pansant leurs plaies et en les laissant infirmes et résignés, mais pour leur apprendre la leçon de la vie, les élever à plus de liberté, plus d’action, plus de science, plus de bien-être. Ce serait la grande œuvre de justice faite non par la guerre, mais par la paix. Cette Eglise qu’on avait mise au tombeau allait, ressusciter, et son esprit, libéré de toutes les servitudes, ferait des miracles, briserait les chaînes, ferait parler les muets ; elle dirait à l’humanité : « Prends ton grabat et marche, » elle soutiendrait ses pas.

L’idéal qu’entrevoyait Montalembert était d’autant plus beau qu’il était plus imprécis. L’œuvre de paix et d’union transportait son cœur : les catholiques, on en ferait des libéraux ; les libéraux, on en ferait des catholiques. Entre les deux pôles contraires le courant s’établirait et la lumière jaillirait. Quelle espérance ! et quel homme mieux que Lamennais était capable de l’éveiller et de l’entretenir ! Une des grandes séductions de ce prêtre entré dans le sacerdoce à regret était l’infinie tendresse de son cœurs Jamais prêtre n’embrassa plus passionnément les affections que son grand et tragique sacrifice lui permettait encore. Cette vocation forcée à laquelle il avait obéi en répandant dans le cœur de ses amis ses orageuses lamentations, il en souffrait toujours ; il était essentiellement celui qui suit le Christ et regarde en arrière. Il sentait toute la fougue de sa nature retenue par la chaîne dont il a parlé et qui le rivait à jamais. Prêtre scrupuleux, il se gardait jalousement ; homme passionné, il se jetait de tout son élan sur tout ce qui pouvait encore satisfaire son besoin inné d’aimer, d’être aimé. Il appela plusieurs fois Montalembert dans le petit logis pauvre où s’exaltaient ses rêves ; il les mirait dans ces yeux jeunes et