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un cœur pur et une bouche pleine des louanges de Dieu. » Lamennais répond par son argument habituel de tendresse et de désespoir : « Mon enfant bien-aimé, écrit-il, mon âme t’enveloppe et te serre de tout son amour. » Il aime, il souffre, est-ce que cela ne suffit pas ? Faut-il discuter ? Résiste-t-on à l’esprit qui vous appelle, à l’humanité qui gémit ? N’est-ce pas l’action de Dieu qui, en agissant sur son âme, prépare l’émancipation du monde et la réforme de l’Eglise ? Ne vaut-il pas mieux, suivant le mot de l’Apôtre, « obéir à Dieu qu’aux hommes ? » Lamennais s’offre en holocauste, il se cloue à la croix. Sur cette croix il essuie les mépris, les outrages, les railleries des persécuteurs. Ce sera le mystère du salut qui s’accomplira encore une fois dans sa Passion.

À cette Passion glorieuse, il associe Montalembert qui cette fois venait d’encourir personnellement le blâme romain. Le jeune écrivain avait cru pouvoir user de sa liberté de laïque et mettre sa plume au service de la cause polonaise. Il avait traduit le Livre des pèlerins polonais de son ami Mickiewicz, et l’avait fait précéder d’un avant-propos où se manifestait toute la ferveur de sa pitié pour le peuple vaincu. Dénoncé, blâmé, découragé, Montalembert résolut de quitter de nouveau là France, mais auparavant il vint dans les bras de Lamennais déposer un moment son fardeau de souffrance. Heure dangereuse pour lui, où, pour le séduire, Lamennais lui livre le grand secret, tire un soir du tiroir un manuscrit et lit : Les paroles d’un croyant. » Montalembert vit tout de suite la funeste erreur du rêve idyllique et sanguinaire qui appelait les hommes à la paix par la guerre et au bonheur par la destruction. Lamennais lisait d’une voix qui contenait mal sa colère. Il jetait sur son disciple l’éclair pâle de son regard, et le disciple, qui avait voulu savoir la pensée véritable de son maître, quelque fasciné qu’il fût encore par le cœur, par les souvenirs, par la compassion, sentait son esprit rebelle à cette conception de justice abstraite et de bonheur impossible qui reposait sur le renversement de tout un monde.

Quand il quitta Lamennais, ce fut après l’avoir supplié de ne pas publier son livre. C’était un matin, sur la route de Saint-Pierre de Plesguen. Lamennais venait de dire une de ses dernières messes, il accompagnait le jeune homme qui l’aimait, qui le quittait et se vouait à l’exil. Ils s’embrassèrent. Montalembert