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même apercevoir clairement que sa liaison avec cet étranger nous offensait beaucoup. Les Condé se montrèrent pendant quelque temps très humbles et respectueux, mais voyant que le comte d’Artois, avec toute son effronterie, avait si bien réussi, ils voulurent l’imiter et devinrent aussi abandonnés et sans gêne ; aussi, nous ne leur avons plus fait aucune politesse


À la fin de décembre, la Cour retourna à Turin. Le comte d’Artois, la comtesse et leurs enfans partirent le 14 et s’installèrent dans le palais du marquis Cavaglia[1], que Victor-Amédée avait fait aménager pour les recevoir. À Moncalieri, ils étaient défrayés de tout par le Roi ; à Turin, ils vécurent encore à ses frais, quoique recevant de France une pension de 6 000, puis de 7 000 livres par mois. Le 16, la Cour rentrait à son tour et la vie reprenait monotone, encore que coupée de réceptions plus nombreuses, parfois de représentations à l’Opéra et de bals auxquels les émigrés ne manquaient jamais de prendre part.


16 janvier 1790. — Le soir, il y a eu bal dans la chambre de l’Alcôve, qui n’était pas mal parée. Il y avait tous les d’Artois, y compris la comtesse, et les trois princes de Condé. Les deux petits d’Artois dansèrent et le duc d’Enghien aussi. Ce dernier danse très bien.

Janvier. — La comtesse d’Artois vint à la « Couronne »[2] et elle s’est mise à la même place qu’elle occupait avant de se marier. Elle avait avec elle Mmes de Montbel et de Coetlogon. Cette dame dont le nom se prononce « Cologon » est plus jolie que les autres, de moyenne taille, et de très bonne façon. Elle a cependant déjà trente-six ans. Le comte d’Artois aurait bien envie qu’elle reste ici parce qu’elle est beaucoup dans ses bonnes grâces, mais elle a un mari un peu mauvais sujet, aussi le comte d’Artois ne se soucie pas beaucoup que cet homme-là demeure à Turin.

Madame d’Artois m’a donné une canne en papier faite par Monsieur.


Nous trouvons dans le journal de Charles-Félix une preuve de la vive irritation que causa au comte d’Artois la nouvelle de l’affaire Favras et de la démarche que le comte de Provence, son frère, alla faire, « non comme prince, mais comme citoyen, » à la municipalité de Paris.


4 janvier. — À l’Opéra, nous sommes allés dans la loge de la comtesse d’Artois, le comte d’Artois ne vint pas pour le souper, parce qu’il avait eu de mauvaises nouvelles de France, et d’une disculpation de Monsieur à l’Assemblée nationale.


Cependant, la froideur ne cessait de s’accentuer entre les

  1. Ce palais communiquait par ses jardins avec celui du comte Birago di Borgano loué par les Condé.
  2. On appelait la Couronne la grande loge de l’Opéra.