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mêlent aux genêts cendrés, l’inévitable Hippocrepis balearica qui pend de chaque fente du rocher, l’Artemisia arborescens, énorme absinthe au feuillage argenté ; dans le sous-bois, des orchidées, etc. La vive couleur des arbres du premier plan, les grands rochers nus, les pins follement tordus, jaunis ou roussis par le vent du Nord ; au-dessous de nous, une grève qui, toute dorée, interrompt la belle teinte rouge des promontoires ; du bord à l’horizon la mer a pris tous les tons du vert glauque ou profond, ou brunâtre, au bleu de l’azur ; plus loin les tons violacés et rosés passent aux douces couleurs d’un horizon qui se détache à peine sur le ciel nuageux. Et de cette mer multicolore s’élèvent les montagnes sans nombre au rivage découpé par de profondes entailles ; d’ici, elles semblent formidables, ces croupes hardies d’à peine 1 000 à 1 400 mètres d’élévation[1]. »

L’archiduc habite, avec simplicité, une ancienne maison authentique : le toit qui l’abrite, forme et couleur, est depuis longtemps adapté à ce site, il y est comme accoutumé. Le propriétaire de ce domaine a construit à la porte du parc naturel une hôtellerie, une « hospederia, » où durant trois journées on offre un lit, des olives, du sel et de l’eau pure à tout venant, à quiconque est attiré par la curiosité d’une visite, et cette hôtellerie est un modèle d’installation artistique et rustique : on ne peut que jeter un regard d’envie sur les jolies chaises majorquines de la salle des repas, paillées en bandes de fibres tressées de palmiers nains. L’archiduc Louis Salvator ignore le luxe et connaît la générosité. Par prédilection éclairée pour toute cette grande nature, à la fois sauvage et policée, abrupte et séduisante, il en est avant tout le maître conservateur ; on raconte que dans les environs mêmes de Miramar il acheta tous les oliviers et les caroubiers que les paysans se proposaient ou feignaient d’abattre. Cela demeure bien l’entreprise hors cadre d’un grand seigneur.

Sur cette même côte, un peu plus au Sud que Miramar, les très modestes cultivateurs de deux petits villages, Estallenchs et Bañalbufar, ont opéré et opèrent encore le prodige d’avoir créé les jardins arrosés de leurs huertas ; ils les maintiennent en un état de splendeur qui les fait apparaître comme des chefs-d’œuvre, même par rapport aux autres terres cultivées de cette grande île-jardin de Majorque.

  1. Une excursion botanique à Majorque (Bulletin des travaux de la Société botanique de Genève, XI, 1904-1905, p. 48-50).