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cain, sans doute pour montrer que sa justice s’étendait impartialement à tout et à tous. On était d’autant plus en droit, à Paris, de s’étonner de cet acte de force, que le général Toutée y était encore quelques jours auparavant, qu’il n’avait parlé de ses intentions ni au ministre de la Guerre, ni au ministre des Affaires étrangères, et que c’est quelques heures seulement après son retour à Oudjda qu’il a fait appeler MM. Destailleur, Lorgeou et Pandori et les a constitués prisonniers. On imagine sans peine le scandale qui en est résulté. Les imaginations se sont donné carrière à Oudjda, dans tout le Nord du Maroc, dans toute l’Algérie. Tous ceux qui nous surveillent et nous jalousent ont admiré les coups que nous nous portions à nous-mêmes et se sont mis en mesure d’en profiter. Les bruits les plus divers ont couru aussitôt.

Sans doute un homme longtemps digne de confiance peut s’égarer, mais ceux qui connaissent M. Destailleur et qui se sont empressés de rendre témoignage à sa parfaite honorabilité ont protesté contre un acte qui tendait à le déshonorer par une exécution sommaire, en dehors de toute preuve de sa culpabilité. Le gouvernement a fait son devoir : il a envoyé l’ordre télégraphique de remettre les trois prisonniers en liberté. Cela ne veut pas dire qu’il les tienne nécessairement pour innocens, mais bien que le général Toutée n’avait pas le droit de les faire arrêter. Une commission d’enquête, composée d’un sous-directeur du ministère des Affaires étrangères, d’un inspecteur des finances et d’un contrôleur de l’armée, a été formée et est partie immédiatement pour Oudjda : elle fera la lumière sur les faits qui sont reprochés à M. Destailleur. Mais, quand même ces faits seraient aussi prouvés qu’ils le sont peu jusqu’ici, le général Toutée n’en aurait pas moins excédé ses pouvoirs. On dit et nous sommes portés à le croire, car rien n’est plus conforme à notre manière générale de faire, que ces pouvoirs étaient mal Umités, ou même qu’ils ne l’étaient pas du tout, qu’ils ne résultaient pas d’un décret, mais d’une simple lettre de service, en un mot, que l’exercice en était laissé au discernement et au tact du haut commissaire. Si le renseignement est exact, on voit combien la garantie était faible. Les rapports entre les civils et les militaires sont généralement difficiles à établir : il faut toujours en déterminer les conditions avec une précision extrême. Si on ne l’a pas fait à Oudjda, la responsabilité du général Toutée en est sans doute atténuée : cependant, la moindre réflexion aurait dû lui faire sentir qu’une résolution aussi grave que la sienne ne pouvait être exécutée qu’avec