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esquisse merveilleuse, M. Bapst, dans un récit alerte et bien ordonné, donne une telle vie à ses personnages, un tel relief au cadre dans lequel ils se meuvent, qu’on croit, en le lisant, assister aux scènes qu’il décrit. Il ne fait ni politique, ni art militaire, il peint, il fait vivre ; et ses peintures et ses résurrections à la vie sont faites d’une telle vigueur, que l’on est immédiatement frappé par la logique avec laquelle les effets se rattachent aux causes. Avec lui, nous assistons au désarroi épouvantable dans lequel se fait une mobilisation non prévue, où tout s’improvise au jour le jour, heure par heure. Avec lui encore, quand les hostilités sont commencées, nous pénétrons dans les états-majors, où nous faisons ample connaissance avec les détenteurs du haut commandement et leurs auxiliaires immédiats. Tous ou à peu près sont présentés en quelques lignes, souvent en quelques mots, qui nous les montrent tels qu’ils sont : les uns confians et impatiens parce qu’ils ont de belles troupes et qu’ils sont contens de faire la guerre, les autres soucieux, en présence du désordre qui règne partout et préoccupés des responsabilités qu’ils vont encourir.

De tous ces portraits, le plus poussé est celui de Bazaine ; le personnage en valait la peine. M. Bapst consacre un chapitre tout entier à l’histoire de sa vie, et de tous ses actes ressort un mélange extraordinaire de finesse et d’incapacité, de bravoure personnelle et de peur des responsabilités. Au demeurant, la conclusion de tout cet exposé est sa parfaite incapacité à occuper l’emploi de commandant en chef que, poussé par l’opinion publique, l’Empereur lui confie le 12 août. En vérité, on devait s’y attendre. Dans toute cette histoire de sa vie, on ne peut trouver une seule occasion où Bazaine eût été à même d’acquérir les connaissances indispensables, pour la conduite des opérations d’une armée de 200 000 hommes. Il ne sort d’aucune école militaire où il aurait pu apprendre au moins qu’il existe une science militaire ; il a fait la guerre en Afrique, même en Espagne avec les Carlistes ; il a combattu vaillamment en Crimée, en Italie, à Puebla. Mais il n’a jamais eu à manier que des unités relativement peu importantes qu’il entraînait et conduisait à la victoire par sa bravoure personnelle. Il n’a jamais rien appris, et toutes ses facultés sont tournées vers des menées politiques, dans lesquelles il triomphe par fourberies et mensonges. Voilà ce qu’était l’homme ; l’œuvre néfaste qu’il a