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recouvre le dos arrondi de ce rocher, jusqu’au pied des murailles grisâtres. Deux chemins creusés dans la pierre et bordés de haies épaisses et de grands ormeaux tombent au pied de cette petite montagne que gravit la longue avenue. Les clématites, les lilas et les vignes sauvages forment de hauts buissons qui s’entrelacent avec les ruines des grands ormes et accompagnent les passans de leurs ombres et de leurs parfums jusqu’aux piliers du portail. »

Tous les traits de cette peinture, aussi opulente que celles de Balzac, et plus harmonieuse, ont pour origine un détail pris à la réalité ; mais il faudrait, pour retrouver la vérité des impressions, ramener tout à des proportions plus étroites, plus humbles. Les vieux arbres, je le sais bien, furent abattus en grand nombre à la mort d’Alfred de Vigny ; mais il en reste, et ils n’ont pas ce prestige mystérieux qui fait penser à Brocéliande ou à la Forêt des Ardennes. Les fontaines sont encore là Sur sept (et non pas huit), on a dû en aveugler deux, dans l’intérêt de la prairie qu’elles noyaient en l’arrosant avec trop de largesse. Elles n’ont pas ce caractère auguste et quelque peu sacré que la fantaisie du poète leur attribue. La topographie les explique. La petite colline sur laquelle Alfred de Vigny représente le Maine-Giraud juché sur un piédestal qui serait formé d’un seul bloc, est, pour tout dire, une cuvette naturelle où descendent et où s’arrêtent, plus peut-être qu’il ne faudrait, les eaux des collines plus élevées qui décrivent un large cercle, — Vigny dit justement « un cirque, » — autour de cette habitation.

La demeure elle-même n’est ni aussi ancienne, ni aussi vaste, ni aussi formidable, il s’en faut de beaucoup, que le poète le croit. « La nature, écrit-il, a dessiné dans ses formes quelque chose d’un couvent et d’une forteresse. Les murailles épaisses sont enfoncées dans les rocs et fendues de tout côté par des meurtrières qui protègent les vallons et d’où les coulevrines pouvaient balayer les avenues par un feu pareil à celui d’un bataillon carré. Une tour octogone allonge son toit d’ardoise aigu comme celui d’un clocher. A ses lianes s’attache une tourelle couronnée d’un petit dôme d’où sort une longue flèche. Les grandes salles boisées de chêne noir sculpté semblent avoir réuni à la fois des moines et des chevaliers. Leurs larges embrasures, qui ont des bancs de bois noir pareils