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de modifier profondément le caractère des hommes et l’aspect des choses, moment fugitif dont il convient de profiter sans retard.

Sousse nous arrête à mi-chemin, cité blanche que frange le bleu de la Méditerranée. Sousse occupe l’emplacement de l’ancienne Hadrumète, qui a depuis longtemps disparu. Pour retrouver les vestiges de la ville morte, vous devez franchir le seuil du musée où l’on conserve de superbes mosaïques de l’époque impériale, ou bien suivre les allées obscures des catacombes chrétiennes. Des tombes de chaque côté de ces rues souterraines rappellent la nécropole de Saint-Calixte, sur la voie Appienne ; mais au lieu d’un trappiste, c’est un sous-officier qui nous sert de cicérone.

Au sortir de Sousse, nous traversons une magnifique plantation d’oliviers ; puis, piquant vers le Sud, la locomotive qui nous entraîne aborde une région que le soleil dessèche et désole. Aux oliviers succèdent les cactus, puis les cactus eux-mêmes disparaissent. À droite et à gauche, une plaine jaune, à peine ridée, semblable à une mer ; si les voiles sont absentes, de temps à autre, une caravane se profile à l’horizon. Cependant, voici de nouveau les cactus qui se groupent et, au milieu de cette forêt de piquans, des chameaux semblent paître. En mettant la tête hors de la portière, j’aperçois dans le lointain une muraille dentelée et, au-dessus, des terrasses, des dômes, des minarets : à n’en pas douter, c’est Kairouan.

Kairouan, nom évocateur d’images orientales ! Rapide et irrésistible comme un cyclone, l’invasion musulmane se répandait en tous sens ; de l’Arabie, elle gagnait le Nord par la Syrie, l’Orient, par la Perse, l’Occident par l’Égypte. On était au milieu du premier siècle de l’Hégire. Le fondateur de la dynastie des Ommiades avait envoyé son lieutenant, Okba ben Nâfi, avec dix mille Syriens pour soumettre l’Afrique septentrionale. Okba ne rencontra d’abord aucune résistance et il atteignit, ivre d’enthousiasme, le rivage de l’Atlantique. Chemin faisant, il avait entrepris d’assurer l’empire conquis par ses armes en lui donnant une capitale. Il ne fallait pas songer à l’établir sur le littoral, exposé aux attaques des vaisseaux byzantins. La légende veut qu’il ait jeté son dévolu sur un lieu boisé, coupé de marais, infesté de reptiles. Si la légende ne ment pas, le pays a bien changé. Okba se mit à genoux et implora le Dieu unique.