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habillée et coiffée comme elle, à la mode mantouane, pour servir de modèle aux belles dames de Paris.

Elle connaît, sous Louis XII, un triomphe plus grand encore. A force d’entendre parler de l’Italie, la reine de France, la bonne Anne de Bretagne, s’était mis dans la tête d’y venir faire quelques entrées solennelles, d’y montrer ses coiffures, ses bijoux. Déjà elle préparait ses robes de gala, quand Louis XII l’avertit avec bonhomie qu’elle ne savait à quoi elle s’exposait et qu’il n’était pas très prudent d’aller s’offrir en com- paraison dans un pays où il y avait Isabelle d’Este. Sur quoi, la bonne reine, ayant mûrement réfléchi, ne renonça pas à son voyage, mais en modifia la stratégie somptuaire : elle décida qu’elle irait, sans toilette aucune, modestement vêtue de noir, n’affichant aucune prétention pour elle, mais flanquée des quatre plus grandes beautés de sa Cour, Mme de Nevers, Mme de Longueville, la marquise de Montferrat et une Anglaise, — simples suivantes dont le succès rejaillirait sur elle et dont l’échec ne l’entamerait point. Rien que ce changement de front était un aveu, et la grande marquise, qui ne l’ignora point, remporta ce jour-là, sur la France, une victoire moins douteuse que celle de son mari à Fornone

C’est, en effet, chez elle, sur son terrain, dans sa petite Cour, que la grande marquise était incomparable. L’hospitalité à Mantoue n’était pas pratiquée, comme un devoir, mais comme un sport où se donnaient carrière toutes ses facultés. C’était un grand remue-ménage, à cette époque, quand pointait à l’horizon un hôte de distinction, avec la suite innombrable, indiscrète et affamée qu’il croyait devoir amener à ses hôtes pour leur faire honneur. On mobilisait toutes ses ressources : on se prêtait, d’une cour à l’autre, des tapisseries, de l’argenterie, des serviteurs. On n’épargnait rien pour connaître les goûts de l’hôte qu’il s’agissait d’honorer. « Benedetto, » écrit Isabelle d’Este à son secrétaire, quand Ludovic le More doit venir à Mantoue, « nous avons l’intention de loger le duc, ici, dans nos propres appartemens au Gastello, en lui donnant la chambre peinte avec l’antichambre, la Camerina du soleil, la chambre de Cassone, notre propre chambre et salle à manger. Et nous pensons que Son Excellence elle-même occupera la chambre de Cassone, que nous draperons de tentures noires et violettes, parce que, quoique nous apprenions qu’il porte toujours le deuil