Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du parlement de Paris la confirmation d’une sentence de séparation de corps que le Châtelet avait prononcée à son avantage, mais par défaut, dans les premiers jours de cette année 1776, et dont le marquis défaillant interjetait appel.) Mais Louise et Briançon exigeaient du calomniateur un démenti plus catégorique, et la marquise dut consentir à le lui demander, mais doucement, car elle avait besoin de lui. Elle était même disposée à lui rendre son affection, son estime et ses libéralités, pourvu qu’en retour ce bon fils voulût bien écrire pour elle des mémoires meurtriers contre l’Ami des Hommes. L’idée d’une pareille collaboration révoltait Louise. Elle se déclara résolue à l’empêcher par Ions les moyens, et elle en avait d’infaillibles. Elle n’ignorait pas que les libelles de son frère contre son père devaient être introduits en fraude à Paris sous le couvert du ministre de Sartine. Elle n’avait qu’à dénoncer cette singulière connivence. Elle pouvait aussi livrer l’adresse de Mirabeau en Hollande. Elle en était fort sollicitée, quoique indirectement, par le policier de Bruguières qui s’était mis en tête d’arrêter Mirabeau, et qui comptait sur la furieuse rancune et sur l’intempérance de langue de Briançon pour arriver à ses fins. Son attente fut remplie : Briançon travaillé à souhait parla, parla trop… Quelle aubaine !

Le lieutenant-général de police, M. Lenoir, informé aussitôt, autorisa Bruguières à profiter de sa découverte et à se rendre au Bignon pour en faire part à l’Ami des Hommes. Mais la première mission du policier, manquée à grands frais, Je recommandait mal. L’Ami des Hommes le renvoya s’abouchera Dijon avec la famille de Sophie de Monnier. Ce contretemps donnait du répit à Mirabeau ; mais il endormit sa vigilance en lui laissant croire qu’il était en terre d’asile inviolable. Il céda sans plus de difficultés aux incitations d’attaquer son père, dont sa mère l’obsédait ; et pour en terminer avec l’affaire de sa sœur, il démentit son imposture dans les termes explicites que la marquise exigeait de lui sans plus de retard. Il lui récrivit de Rotterdam, le 21 novembre :


J’ai reçu, ma très chère maman, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire en date du 10 novembre. Quelque sèche qu’elle soit encore, elle m’a paru bien plus analogue à votre bonté que la précédente. Elle a été jusqu’à mon cœur. J’ai senti que le vôtre parlait toujours pour moi, quel que soit le voile de sévérité sous lequel vous croyez devoir vous