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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/627

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notre indépendance nationale, restera à jamais inoubliable. Il y a dans la vie de ces momens qui font époque et dont on garde éternellement le souvenir ! Il s’était fait une espèce d’entente tacite par laquelle les habitans avaient décidé de garder dans toutes les maisons volets baissés et portes closes. Cette manifestation patriotique eut le succès le plus complet. Bien rares furent les exceptions ; un grand café, deux ou trois magasins, et l’hostilité de la foule les contraignit vite à suivre le mouvement. Même les marchés en plein air n’eurent pas lieu, les maraîchers n’étant pas arrivés dans la capitale. Depuis la plus petite boutique de « verdurière, » comme on dit chez nous, jusqu’aux plus grands restaurans, tous les immeubles restèrent clos. Et toutes les maisons privées semblaient inhabitées : on y vivait silencieusement ! Les mots me manquent pour peindre l’atmosphère de dignité qui, pendant toute cette journée, plana sur la ville tout entière. Nous étions en communion spirituelle avec tous les nôtres, avec nos compagnons d’infortune aussi bien qu’avec notre armée qui se battait, avec nos frères exilés et les réfugiés de France, d’Angleterre ou de Hollande, avec les morts eux-mêmes, les morts aimés, et nous pensions à l’heure de la délivrance !… C’est cet espoir immense qui, à la fin de la cérémonie de la cathédrale de Sainte-Gudule, éclata en cris puissans de : « Vive le Roi ! Vive la Belgique ! » clamés par mille et mille voix, malgré la présence des uniformes allemands.

Un long défilé, un pieux pèlerinage s’organisa au cours de la matinée, vers le monument de la place des Martyrs où reposent nos braves, morts en 1830 pour la libération de notre territoire. On y déposa des couronnes en l’honneur des enfans de la Belgique qui combattent aujourd’hui pour notre indépendance et tombent tous les jours au champ d’honneur ; on y jeta des fleurs en masse, en dépit des nombreuses sentinelles, baïonnette au canon, qui gardaient la place et les rues avoisinantes. Des patrouilles circulaient partout. Des mitrailleuses étaient en batterie dans le cœur même de la ville… Mais le silence, un silence religieux régnait dans la foule, et il était aussi imposant que la bruyante manifestation de Sainte-Gudule.

La journée tout entière se passa dans ce même sentiment d’émotion grave et recueillie.

Peu après, l’anniversaire du 4 août : c’était la date où les