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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/117

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l’intérêt supérieur de la civilisation, la guerre n’est qu’un moyen et non un but. En Prusse, la guerre est son but à elle-même ; elle est civilisatrice, et l’armée, loin d’être tenue en bride, donne l’impulsion à la nation.

L’esprit prussien a empoisonné le génie allemand ; l’Allemagne, assise au milieu de l’Europe civilisée, semblait appelée à être la gardienne des principes de justice et de moralité politique qui sont le patrimoine de la civilisation. Après le mouvement de 1813 par lequel elle reconquit sa liberté, on eut pu l’espérer. Pour son malheur, ce fut la Prusse qui présida à son unification. L’unité allemande passa aux mains du chancelier de fer, qui ne connaissait que la force brutale. La force prime le droit. Il lui a dit : « Je vous ferai la première nation militaire du monde ; vous aurez une armée invincible avec laquelle vous pourrez faire ce que vous voudrez ; que vous importent désormais la justice et l’honneur, des mots, et qu’avez-vous besoin de respecter les traités, des chiffons de papier ? » Et l’Allemagne enivrée s’est laissé entraîner. Elle n’a plus cru qu’à la force, elle qui avait dit tant de belles choses sur l’éternelle majesté du droit. Elle a connu le rêve napoléonien de dominer le monde, oubliant qu’elle n’avait pas de Napoléon, et que les Napoléon finissent à Sainte-Hélène. Aujourd’hui, vaincue, mutilée, humiliée, trouvera-t-elle dans sa droiture naturelle la claire vue des causes de son malheur ? C’est le secret de l’avenir.


GODEFROID KURTH.