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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/121

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jalousie de Michel-Ange, son rival et son antipode en tout, qui était là chez lui et maître du terrain. On connaît l’histoire de la célèbre fresque de la bataille d’Anghiari et du stupéfiant carton, qui, après avoir été « l’école de l’Italie, » fut brûlé, dit-on, par les disciples de Buonarroti. Le vieil adage, qui veut que nul ne soit prophète en son pays se vérifia une fois de plus pour Léonard.

Le destin lui ménageait une compensation. C’est au milieu de cette Florence hérissée d’ennemis et pleine de pièges que Léonard rencontra la femme qui devait être une véritable révélation pour son âme et laisser dans son art une trace ineffaçable. Sa mission particulière était de donner, par des images vivantes, une nouvelle interprétation de quelques-uns des grands mystères de la vie. Au seuil de sa carrière, au printemps Henri de sa jeunesse, le mystère du Mal lui était apparu sous la figure de la Méduse. A l’apogée de sa gloire, le mystère du Divin l’avait percé d’un rayon mélancolique sous la figure du Christ de la Cène. Avant le déclin, au solstice de l’âge mûr, le mystère de l’Éternel-Féminin se dressa devant lui en la personne de Mona Lisa. Aussi troublante qu’éblouissante fut la lumière qui jaillit pour lui de ce miroir magique. Car il parut, aux yeux de l’homme et de l’artiste, que ce mystère contenait les deux autres et les contre-balançait dans son équilibre instable. La Joconde devint ainsi le nœud gordien de sa vie intérieure et de ses, plus hautes conceptions.


Le nom de la Joconde, on le sait, est venu à Mona Lisa de son mari Giocondo, obscur Florentin, qui possédait un vaste domaine dans les M are m mes et qui l’exploitait eu y élevant de grands troupeaux de taureaux et de bœufs. Cette industrie lucrative forçait le riche entrepreneur à de fréquentes et longues absences. Il est évident que sa femme jouissait d’une grande liberté, puisque Léonard se complut pendant quatre ans à faire son portrait, au milieu de beaucoup d’autres travaux, sans pouvoir se satisfaire et qu’elle lui en laissa l’unique exemplaire. De la femme merveilleuse nous ne savons rien, si ce n’est qu’elle était Napolitaine et de grande famille. Mona Lisa était fille d’Antonio Maria di Noldo Gherardini et la troisième femme de Zenoli del Giocondo, qui l’avait épousée en 1495. Nous ne