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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/149

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sujet de la prédominance des ouvriers. Le conflit s’envenimait. La Tarakanova, très pâle, abondait en paroles conciliantes : « C’est un oubli impardonnable de notre part. Nous, les camarades ouvriers, nous désirons de toutes nos forces l’étroite union avec nos camarades les soldats. » L’émoi que traduisait ce langage nous fut une révélation. Nous résolûmes de battre le fer pendant qu’il était chaud. Une réunion eut lieu chez moi. Je proposai d’envoyer une députation aux casernes, afin d’expliquer aux soldats l’amitié que nous leur portions et de leur proposer une alliance. Le principe était de faire siéger à la séance plénière autant de soldats qu’il y avait d’ouvriers. Si les soldats posaient la candidature d’un de leurs officiers aux fonctions de commissaire, nous nous engagions à la soutenir. Mon plan fut entièrement approuvé ; mais personne ne voulait se charger de le mettre à exécution. Enfin, il se trouva deux braves, l’ingénieur Nejdanoff et un maitre d’école letton, pour accepter d’être nos porte-parole. Ils furent très bien reçus par les soldats, qui parurent enchantés.

En quittant la caserne, ils croisèrent la Tarakanova, venue évidemment pour une négociation analogue.

A la séance suivante, la Tarakanova jetait de notre côté des regards furibonds. Il y avait de l’électricité dans l’air. On devait élire un commissaire général pour tout le quartier. Tout à coup, la porte s’ouvrit, livrant passage à quinze soldats, délégués par leurs régiments. La Tarakanova blêmit, mais n’osa rien dire. Après de longues discussions, on procéda à l’élection du commissaire. La candidature de l’officier, présentée par les soldats et soutenue par notre groupe, l’emporta sur celle de l’ouvrier : le résultat était tel que nous l’avions escompté. Devant ce premier échec, la Tarakanova ne perd pas la tête : elle s’accroche à un détail, prétend que l’élection n’est pas valable et se lève avec fracas. Les ouvriers la suivent et quittent la salle. Une confusion terrible s’ensuit. Dans les couloirs, de petits groupes discutent. La Tarakanova parle avec volubilité. Quant à Sheiman, il me toise avec dédain et dit très haut :

— Il y a ici des membres de l’extrême droite, qui essaient de semer la discorde entre les ouvriers et les soldats.

Notre victoire ne fut pas de longue durée. L’officier, hésitant devant les complications que soulevait sa candidature, la retira : finalement, le protégé de la Tarakanova fut nommé