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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/183

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maison. Le mari viendra la chercher lui-même à Domremy : tous deux s’en iront ensemble. Ainsi, dénouant une situation qui devenait insoutenable, partira-t-elle sans drame. De Burey à Vaucouleurs, la distance est négligeable. Elle pourra se rendre auprès du commandant, lui parler et le convaincre. Le Seigneur Dieu fera le reste.

Ainsi Jeanne, muette pour tous, sauf pour deux êtres éprouvés, entra-t-elle à Burey-en-Vaux, dans la maison de ses cousins, pour ne pas réduire au désespoir sa mère et son père. A Domremy comme à Greux, elle dit adieu, sur le pas des portes, aux gens étonnés qui la regardaient partir. Plus d’un, vingt-sept ans après, se rappelait encore le timbre de sa voix. La plus pure des filles quittait son village, pour la plus merveilleuse des œuvres, comme si elle allait abriter chez des amis pitoyables le fruit dangereux de son sein.

A Burey-en-Vaux, Jeanne demeure six semaines. Six semaines haletantes, s’il en fut. Alors elle parle, pour la première fois semble-t-il, d’une prédiction dont elle a connaissance et qu’elle rapporte à son propre fait. « Le royaume de France, perdu par une femme, sera sauvé par une vierge. » La femme qui perd la France, c’est la reine Isabeau, la Bavaroise, qui a pris parti pour le léopard anglais contre les fleurs de lis. La vierge qui le sauvera, n’est-ce pas elle-même, Jeanne, fille de Dieu, que ses voix appellent au sacrifice ? Alors elle ose aborder le commandant de Vaucouleurs, et se voit plaisantée et raillée. Et comment pouvait-il en être différemment ? Alors aussi, tandis qu’elle prolonge à Burey son séjour, attendant quelque meilleure fortune, lui faut-il enfin faire connaître le vrai but de son absence à ceux qui se désolent loin d’elle. De là ou d’ailleurs, elle leur écrivit en son nom : le sillage de sa gloire, alors, emporta leur grief.

Car elle ne quitta pas deux fois Domremy pour Vaucouleurs, à six mois d’intervalle. Elle ne fit qu’un voyage. C’est ce qu’il faut comprendre. Par là tout s’éclaire et devient net, plus digne, en un mot, de Jeanne d’Arc[1].

A Burey-en-Vaux, dans la maison des Lassois, en décembre et janvier, sous la cotte rouge qu’elle portait[2], Jeanne fit une

  1. La démonstration de ce fait, dont l’importance ne peut être dissimulée, dépasserait sensiblement le présent cadre.
  2. Pour ce vêtement, déposition de deux témoins au Procès de réhabilitation.