Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portes de Reims, pour ce terme de la Saint-Jean, qui lui est assigné de par Dieu. Prendre du repos, c’est tout ce que le Roi trouve à lui dire. Cette fois, elle éclate. Elle fond en larmes. Elle objurgue le prince. Elle lui promet le sacre et la victoire. Mais qu’il parte, au nom du ciel, qu’il fasse œuvre de roi…

Ainsi parlait-elle au milieu de ses pleurs, perles sacrées qui roulaient sur ses joues.

Reims, enfin, se laisse atteindre[1]. Le troisième samedi de juillet, arrivant de Châlons, l’armée aperçoit de loin la masse écrasante de la cathédrale. Jeanne était devant la Jérusalem de France.

Elle avait connu, depuis Gien, de mortels instants. L’obstacle d’Auxerre a été tourné plus que franchi. Combinaison plutôt piteuse, la ville s’est rendue et a fourni des vivres, sans se laisser occuper. Mais devant Troyes, la pause avait été poignante. La place tient bon : la présence royale, la fascination qu’exerce ailleurs la Pucelle demeurent là sans effet. Va-t-il falloir un siège, le conduire au hasard, sans matériel d’attaque, avec une armée qui s’énerve ? La moitié d’une semaine se passe. Dans le conseil du Roi, le groupe de Bourges a levé la tête et montre sa force : il exige l’abandon de l’aventure et la retraite. Renoncer au sacre de Reims ! Jeanne en mesure l’horreur. Dans une séance dramatique, elle présente et parlante, elle obtient un suprême délai de trois jours. Ainsi Colomb devant son équipage, sur le pont de la caravelle. Qu’on imagine les heures qui suivent. Elle sait qu’on travaille pour elle, à l’intérieur des murailles. Un moine éloquent, gagné à la cause de France, remue et oriente les esprits. Enfin, le lendemain, la ville cède, capitule et ouvre ses portes. Toute l’armée la traverse. Sur le chemin de Reims, cette angoisse avait été la dernière. Maintenant, au seuil de la cathédrale du sacre, haute comme une colline de pierre, fleurie de sculptures, assourdissante de cloches, toute douleur et toute peine ne comptaient plus pour rien.

Le jour du Sacre, le dimanche 17 juillet, tenant son étendard illustre aux côtés du Roi, son père, venu de Domremy, l’ayant serrée dans ses bras, elle connut, dans la nef

  1. Voir Henri Jadart, Jeanne d’Arc à Reims.