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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/254

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loin, en des bénéfices obscurs de banlieue, Paul Legrand jouait un certain Rêve de Pierrot d’une naïveté d’image d’Epinal : « Endormi au coin du feu, après une lecture d’un journal, il passait par un cauchemar obsédé de faits-divers : tempête, naufrages, suicide, réveil rassurant. » N’avais-je pas, moi, mon Requiem du Papillon ? Et ce n’était pas tout. J’avais imaginé, en souvenir du feuilleton de Gautier, « Shakspeare aux funambules, » un monomime du Rétameur. Ce rétameur remplaçait le chaud d’habits classique. Son cri modulé exaspérait Pierrot, mimant le guet-apens, l’approche, la courte lutte, l’étranglement de l’homme et de son cri. Mais, prodige ! Le cadavre jeté à l’eau, disparu, le cri renaissait de lui-même, s’enflait, tonnait ; et Pierrot constatait que c’était lui, hanté, possédé, hagard, qui, délivré de son séculaire mutisme, proférait à jamais, avec une torsion de lèvre farouche, d’une voix éclatante et sinistre : Via le Rrétammeurr !

Je les jouai, ces petits drames, chez mon cousin A. H… lié avec le directeur du Gil-Blas. Le secrétaire de la rédaction, Guérin, qui avait déclaré, « enfantin » le manuscrit d’un conte de moi, jugea la pantomime plus intéressante : Ce pouvait être un lancement curieux, mais il fallait d’abord que je visse Banville, suzerain incontesté de ce fief d’art.

— S’il vous approuve, allez-y ! Sinon, faites-vous soldat ! dit rondement Guérin.

Banville me reçut dans la salle du journal, un entresol que ma tête touchait presque. Il se montra fort sceptique. La pantomime qu’il goûtait remontait plus haut encore qu’à celle de Paul Legrand, lorsque, fantasque, décousue et lyrique, elle obéissait au caprice des fées, transformait d’un coup de baguette les décors sommaires des Funambules, rebondissait de péripéties en cascades. Il glorifia la finesse de Deburau père, inimitable.

— Certes, je ne prétendais pas…

Mais Banville poursuivait avec fougue :

— Ainsi, dans Pierrot en Afrique, des jeux de scène, quand Deburau laisse tomber son fusil !…

Et, pour m’en donner une idée, Banville me marcha sur les pieds et me bouscula, en me faisant bien remarquer comme Deburau, en fantassin loustic, était agile !

Au fait, il se moquait de moi, fidèle à son rôle d’ironiste, et