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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/292

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lendemain. Au lever du jour, les fantassins, rien qu’avec leur fusil et leurs 120 cartouches, les mitrailleurs, traînant sur des kilomètres leurs mitrailleuses à la bricole, s’avancent, incertains, comme à l’aventure, par les plaines muettes et mystérieuses, cherchant le contact. Où est l’ennemi ? Déjà les Anglais ont été forcés d’abandonner les passages du canal Crozat, le canal de la Somme jusqu’à l’Oise, toute la ceinture d’eau qui couvre la région. Encadrés par la 10e division à leur gauche, par la 125e à leur droite, assistés seulement par quelques éléments isolés d’infanterie et d’artillerie britanniques, les trois régiments de la 9e s’établissent sur le front Flavy-le-Meldeux, Collezy, Bois de Genlis, pour défendre la route de Ham à Noyon. Tout le jour ils combattent sur cette ligne. Le lendemain, soutenus désormais par leur artillerie, mais déployés, « égaillés, » et pour ainsi dire distendus sur un immense front en arc de cercle de seize kilomètres, ils se maintiennent au Nord de Guiscard ; ils y font tête à six divisions de l’armée von Hutier[1]. Au soir, menacée d’encerclement, la 9e division se dérobe et profite de la nuit pour reconstituer plus au Sud une ligne de bataille qui puisse quelques heures encore couvrir Noyon. Toute la journée du 25, sur le front Beaugies-Guiscard, puis le 26 aux abords de Noyon, elle lutte de même, mélangée à la 1re division. De même les jours suivants, lâchant de gagner du temps, de résister sur place aussi longtemps que possible, puis manœuvrant en retraite.

En quelles conditions redoutables ! Pour le fantassin qui, trois ans et plus, s’est accoutumé au coude à coude de la tranchée et au rituel terrible, mais minutieusement réglé, de la guerre de siège, c’est la brusque rupture de tous ses réflexes de combat. Plus de tranchées, ni de sacs à terre, ni d’abris. Pour les liaisons, plus de panneaux ni d’artifices éclairants, rien que des coureurs et de rares fils téléphoniques. Comme armement, plus de canons d’accompagnement, ni d’obusiers, presque plus de grenades, rien que le fusil, le fusil-mitrailleur, la mitrailleuse. Au lieu de la cuirasse épaisse des barrages d’artillerie, rien que des tirs qui se dispersent sur des zones non repérées. Au lieu du resserrement des bataillons sur un front de 300 à 400 mètres, leur éparpillement en chapelet sur

  1. C’étaient la 45e division de réserve, la 5e division de la Garde, la 36e division, la 10e, la 1re division bavaroise et une partie de la 34e division.