Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vides, une commission, composée d’officiers d’Etat-major que n’assiste aucun médecin, et que les soldats allemands nomment la Mord Kommission, la commission d’assassinat, visite les services des étapes, les pressure, y recrute, vaille que vaille, des combattants[1]. Elle s’évertue en vain : dès le 30 juillet, il a fallu commencer à réduire des bataillons à trois compagnies ; et le procédé s’est vite généralisé. Ces unités exsangues, il faut pourtant les engager sans cesse. Des vingt-quatre divisions qui, du 26 septembre au 15 octobre, soutinrent la pression de l’armée Gouraud, et qui furent toutes décimées, huit furent à peu près anéanties. La 42e, qui avait laissé entre nos mains aux deux premiers jours de la bataille 2 000 prisonniers, reparaît en Argonne le 15 octobre : son effectif n’est plus guère que de 500 hommes. La 202e, maintenue en ligne pendant toute la bataille, s’y use entièrement : le 9 octobre, elle perd 500 hommes, qui formaient presque tout son effectif en combattants. Une division d’élite, la 200e, composée de chasseurs, reste au combat jusqu’au 5 octobre : à cette date, ses trois régiments ne comptent plus respectivement que 110, 120 et 150 hommes.

De calculs dignes de foi il résulte que les batailles de juillet ont coûté à l’Allemagne 87 000 hommes, les batailles d’août 123 000, les batailles de septembre 223 000, les batailles d’octobre 169 000 ; au total, en quatre mois, 602 000 hommes, — c’est-à-dire beaucoup plus que le contingent d’une classe de recrutement. Faudra-t-il donc envoyer au feu les enfants de la classe 1920 ? L’Empereur, dit-on, le voulait, et le Kronprinz, et Ludendorff… En ces mêmes quatre mois, l’armée allemande avait abandonné sur les champs de bataille 5 000 canons, le quart de toute son artillerie.

De quel nom nommer tous ces faits, si ce n’est du nom de défaite ou de désastre, et comment nos ennemis osent-ils aujourd’hui prétendre parfois, sans en rien croire, qu’ils n’ont pas été vaincus militairement ?


Certes, jusqu’à la fin leurs généraux conduiront la retraite avec énergie et habileté, et jusqu’à la fin les arrière-gardes

  1. Cette commission fut instituée par un ordre du Grand Quartier général allemand en date du 9 juillet 1918.