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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/319

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que les portes de la Maison Blanche vont s’ouvrir d’elles-mêmes devant ses pas. Hélas ! il ne touche son rêve que pour le voir s’évanouir. Dans l’intervalle, un homme nouveau a surgi, d’une intelligence politique plus riche, plus souple et plus profonde, qui a mûri dans l’étude pour l’action, qui joint au noble goût des idées le sens aigu des réalités, qui croit à la mission de son pays comme à la sienne propre, et dont l’ambition réfléchie, ardemment couvée sous un académisme de surface, est d’être, non plus un simple manieur de foules, mais un authentique pasteur de peuples. Démocrate, il ne l’est pas d’opinion seulement ; il l’est d’instinct, de tempérament, de tradition. Ses ancêtres scoto-irlandais lui ont légué la passion celtique de l’égalité, qui, jadis, donna naissance au mythe de la Table Ronde. A peine investi d’une autorité, il s’est imposé à l’attention de ses concitoyens comme un irréductible champion du droit des petits contre les prérogatives des grands. On sait le reste : lorsqu’il s’agit de désigner le candidat à la Présidence, celui que les démocrates élevèrent sur le pavois, ce ne fut point le vétéran William Bryan, mais le conscrit Woodrow Wilson. Sic vos non vobis. Le perdant se montra beau joueur : non content de s’effacer à la dernière minute, il pria les votants qui lui étaient demeurés fidèles de reporter leurs suffrages sur son concurrent. Wilson, après cela, ne pouvait moins faire que de lui réserver une place dans son administration. Il eût été de la dignité de Bryan de décliner un poste de sous-ordre là où il avait compté briller au premier plan. Il n’eut pas cette sagesse. La guerre le trouva aux Affaires étrangères. Il prétendit en résoudre les vastes problèmes avec son optique étroite de pacifiste halluciné. Le Président le laissa s’empêtrer à plaisir, jusqu’à ce qu’il n’eût plus d’autre ressource que de se démettre. Comme dit irrévérencieusement mon ami :

— Lâchez assez de corde à un veau, il s’étranglera de lui-même.

Voici plus d’un an que Bryan a débarrassé le gouvernement de sa gênante collaboration, et c’est parmi les masses qu’il promène désormais son évangile de la paix à tout prix. On s’empresse, d’ailleurs, pour l’entendre. Quand nous atteignons Madison Square, la salle est archi-comble. Nous nous casons tant bien que mal dans un pôle-môle d’humanités hétéroclites où se coudoient des Juifs, des Slaves, des Hindous, des