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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/321

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cet appel fanatique au plus sordide égoïsme national a blessé dans sa conscience de pur Américain.

Dehors, les petits vendeurs de journaux nous tendent en courant des « extras. » Nous en déployons un, à la clarté d’un réverbère, dans la bise, La manchette porto : « Le Président des États-Unis n’a pas encore fait connaître sa décision. »


Samedi, 3 février.

Elle circule enfin à ciel ouvert, cette décision, et c’est la rupture.

Le Président a passé la plus grande partie de la nuit en méditation, s’est levé matin, a conféré avec M. Lansing, et, à deux heures moins un quart, s’est présenté devant le Congrès, Son message est là, sous mes yeux. Une phrase s’en détache, nette, coupante : « Toutes relations diplomatiques sont rompues entre les États-Unis et l’Empire allemand. » Je me la répète à voix haute pour être bien sûr qu’elle a été écrite, qu’elle a été prononcée. Et ma pensée retourne à quelques mois, en arrière, vers les temps douloureux où je ne pouvais traverser les avenues de Washington sans croiser Bernstorff qui, nonchalamment renversé dans les coussins de sa limousine armoriée, y paradait en maître ; où le délégué du Kaiser, recherché, choyé, adulé par la société élégante de la capitale, traitait le Président de la République américaine comme un chef indigène, un native ruler, et la République américaine elle-même comme une colonie impériale dont il eût été le vice-roi ; où l’ambassade d’Allemagne, devenue le nombril du Nouveau-Monde, bourdonnait d’animation et de vie, tandis que, dans les ambassades des nations alliées, le mot d’ordre était : « Chut ! pas de bruit ! » si bien que, pour un peu, l’on y eût marché, comme dans une chambre de malade, sur le bout des pieds… Ah ! la sinistre impression !

Aujourd’hui, quelle revanche ! C’est à l’ambassade d’Allemagne que l’on ferme. A une heure cinquante-sept minutes précises de l’après-midi, avant même que Wilson eût terminé la lecture de son message au Congrès, le comte von Bornstorff a reçu ses passeports. Les cartes de condoléances ont immédiatement commencé de pleuvoir : Washington pleure son « lion. » Lui, cependant, fait le crâne et l’ironique. Aux reporters qui l’interrogent sur la façon dont il compte rentrer en Allemagne il répond :