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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/395

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LA « LIBRE BELGIQUE. »

On usait de mille trucs plus ingénieux les uns que les autres, et finalement, les propagandistes recevaient leurs paquets, tandis que la réserve allait dans les dépôts qu’on appelait des « poudrières, » tant l’endroit était dangereux. Hélas ! plus d’une poudrière sauta durant les longues années d’occupation et fit des victimes, par exemple rue de l’Orge, rue Jourdan, rue de Hennin, ici et là, un peu partout.

Ceux et celles qui se dévouaient pour remettre chez leurs clients la Libre, attendue avec une impatience fébrile, se formaient en une petite armée ardente, enthousiaste, prudente aussi, et c’est merveille que le nombre (trop grand, hélas !) des arrestations n’ait pas été plus considérable. Il y avait parmi ces propagandistes des vieillards et des enfants mûrs comme des hommes, beaucoup de jeunes filles, des femmes, des prêtres, des religieux. Tous catholiques ? non pas, et c’est ce qui fut très beau. Des libéraux notoires, des maçons très connus, — j’en connais un, magistrat consulaire, qui fut admirable pendant cette guerre cruelle ! — des socialistes bon teint se dévouaient avec un beau zèle pour répandre le petit journal, ne se souciant que d’une chose : relever les courages !

Que tous soient remerciés ici, devant la France amie, pour leur inlassable dévouement !

Malgré la surveillance têtue à la frontière, les minutieuses précautions prises contre les personnes fouillées jusqu’à l’indécence, les feuilles subversives arrivaient cependant en Hollande et de là s’envolaient dans toutes les directions. On les lisait en Angleterre, en France, en Amérique, en Chine, même au Congo, surtout dans les tranchées où nos frères se battaient comme des lions, fiers de constater que, dans la Belgique occupée, les civils tenaient ferme comme de simples poilus.

Cependant les perquisitions succédaient aux perquisitions. Personne n’était à l’abri. La Kommandantur donnait partout, tête baissée ; comme, dans l’arène, le taureau fonce haletant, l’œil injecté, sur les picadors.

La galerie avait souvent l’occasion de rire. Rue Royale, à la résidence des Jésuites, un matin, les Boches envahissent la maison tranquille et recueillie. Ils ont mis la main sur le Père Pirsoul qui « travaille » hardiment, vêtu en apache. Il est pris,