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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/420

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comme s’il eut réfléchi à ce qui venait de lui être dit ; puis, passant a un autre sujet, il demanda des renseignements sur la démission du président Grévy. Il trouvait fâcheux qu’un chef d’Etat, nommé pour un temps, eût été contraint de se retirer avant l’expiration de son mandat et une telle solution pouvait faire douter de la durée du régime en le montrant toujours plus ou moins soumis aux caprices des partis comme à la mobilité des Français.

« Sire, les Français ne sont pas des gens qu’il faut juger sur les apparences, observa l’ambassadeur. Il y a chez nous ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. » — « Oui, je le sais, reprit l’Empereur. Il y a la nation qui travaille à côté de celle qui fait de la politique. Mais c’est égal, vous ferez bien de ne pas recommencer ce que vous venez de faire. A coup sûr, le départ de M. Grévy s’explique et le choix de M. Carnot ne laisse rien à désirer. Il n’y on a pas moins une brèche à votre Constitution. Si vous deviez faire de l’exception qui s’est produite une règle, ce serait un détestable principe. »

Nous avons insisté sur ces détails parce qu’ils démontrent la tendance persistante du souverain russe à se délier des institutions républicaines et que l’heure n’était pas encore venue où il reconnaîtrait que ces institutions, en admettant même qu’elles fussent fragiles, ne pouvaient empêcher un rapprochement solide et constant dû gouvernement de la République avec le gouvernement impérial.

La vérité que peut-être il ne s’avouait pas encore, c’est que la Russie récoltait ce qu’elle avait semé en laissant en 1870 les mains libres à l’Allemagne. L’effet le plus grave de cette politique s’était manifesté en 1879 par l’alliance entre Berlin et Vienne. Victorieuse, l’Allemagne avait voulu se prémunir contre une entente possible de la France et de la Russie. Bismarck y avait songé dès 1872, ainsi que le prouve la première tentative à laquelle il se livra à cette époque pour conclure une entente séparée avec le cabinet autrichien. Il avait préparé à cet effet une entrevue entre Guillaume Ier et François-Joseph, mais Alexandre II, prévenu secrètement, empêcha le tête-à-tête en annonçant sa visite. Pour que l’auguste réunion eut l’air de donner un résultat, on formula des principes vagues, une sorte de copie de la Sainte-Alliance, à laquelle du reste Gortchakof refusa d’adhérer, et c’est ainsi que le projet du