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de cette petite cité, de cette république quasi sans territoire qui pourrait revendiquer le mot de Pascal : « Je n’aurai pas davantage en possédant des terres… Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point… » La grandeur de Genève n’est pas dans l’ordre des choses visibles. Son histoire la montre se passionnant de siècle en siècle pour une idée : liberté de conscience, liberté sociale. Cité de refuge, elle ne demeura jamais étrangère aux souffrances des peuples. Et ce n’est point par hasard que la Croix-Rouge naquit sur son sol : Genève avait une si longue habitude de penser au-delà de son propre bien-être et de ses propres frontières, et de rejoindre au-dessus de son idéal national le plus haut idéal humain ! Il était tout naturel que des institutions surgissent, incarnant cette préoccupation. Consacrer une part de sa vie et de ses biens à la cause de l’humanité, c’est une tradition chez tout ce petit peuple, pourtant si patriote et si jaloux de son intégrité morale et spirituelle !

A cette heure où nous voyons le monde prêt à se transformer, on songe à cet esprit nouveau que l’on appelle, d’une façon sans doute insuffisante, puisque l’Europe n’est pas seule en cause, l’ « esprit européen. » Si désormais l’esprit européen doit prendre conscience de lui-même et se développer, c’est en Suisse, et à Genève, selon toute apparence, qu’il pourra se manifester le plus librement.

Or, dès le milieu du XVe siècle, les Suisses faisaient stipuler dans leurs traités avec la France qu’ils auraient libre accès à l’Université de Paris. Au XXe siècle, leur vœu demeure le même : libre accès dans les universités de France, mais aussi libre accès de leurs camarades français dans nos universités suisses.


Dès 1915, la France se rendit compte qu’aucune quantité n’était négligeable, et que les « impondérables, » au cours de cette guerre inouïe, prenaient une extraordinaire importance. Elle se livra donc en Suisse à une propagande très active. Les livres de guerre, les documents accusateurs ont été largement répandus. Fort bien accueillis, ils ont leur place dans les bibliothèques suisses ; ils sont lus, cités, commentés. Une librairie française s’est ouverte à Zurich, une autre à Fribourg,