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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/516

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Si les relations entre le Gouvernement et la Douma devenaient de jour en jour plus tendues, la concorde était loin de régner au sein même du Cabinet de M. Goremykine. J’ai déjà mentionné le caractère hétérogène de ce Cabinet ; à mesure que ses membres apprenaient davantage à se connaître, leurs divergences d’opinion ne faisaient que s’accentuer et empêchaient entre eux tout accord sur les questions qui leur étaient soumises.

M. Goremykine, qui avait affecté dès le début une espèce de calme olympien et qui se complaisait visiblement dans ce rôle, montrait un dédain absolu pour la Douma et traitait ses débats de vains bavardages dont il ne valait pas la peine de s’occuper. Mais d’ailleurs, c’est à peine s’il se cachait de faire aussi peu de cas du Conseil des Ministres, considérant cette institution comme une innovation inutile, et donnant à entendre à ses collègues qu’il ne les réunissait que pour la forme. On peut se figurer ce qu’étaient, dans ces conditions, les réunions du Conseil. M. Goremykine les présidait d’un air distrait et ennuyé, daignant à peine relever les contradictions qui se produisaient entre ses membres et mettant d’ordinaire fin aux discussions en déclarant qu’il se réservait de soumettre sa propre opinion à la décision de l’Empereur. Que si l’on attirait son attention sur l’état d’agitation de la Douma et sur la répercussion qu’il pouvait avoir dans le pays, il répondait que tout cela n’était « qu’enfantillages, » et citait les journaux ultraconservateurs stipendiés par lui-même comme preuve que la population tout entière était dévouée au pouvoir monarchique et ne se laissait nullement influencer par ce qui se passait au palais de Tauride. Les Ministres ultra-réactionnaires, — le prince Schirinsky-Schihmatoff et M. Stichinsky, — prenaient des airs navrés et en exprimant leur opinion sur une affaire, n’omettaient jamais d’ajouter qu’aucune activité gouvernementale ne serait possible tant qu’on n’aurait pas restauré le pouvoir autocratique. M. Schwanbach se perdait dans des digressions interminables et dans des attaques contre le comte Witte et le Cabinet précédent ; il ne manquait d’ailleurs jamais de se rendre, a l’issue de la séance, chez son ami le baron d’Aerenthal, ambassadeur d’Autriche, et, le lendemain, les détails de la discussion, arrangés et colorés par lui, étaient connus à Vienne, et certainement aussi à Berlin. L’amiral Birileff, affligé