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pour y attendre son retour de Péterhof d’où il devait rapporter l’oukase relatif à la dissolution, après l’avoir fait signer par l’Empereur.

Quelle fut la cause déterminante de la brusque décision de M. Goremykine ? Avait-il eu vent des pourparlers engagés, dans le plus grand secret, avec la Douma et le Conseil de l’Empire ? C’est plus que probable, mais je n’en ai jamais eu confirmation. Quoi qu’il en soit, je connaissais trop bien le caractère de l’Empereur pour douter un seul instant de l’accueil qui serait fait à la démarche du président du Conseil. Je voyais s’écrouler tous mes plans ; il ne me resterait, l’oukase une fois signé, qu’à présenter à l’Empereur ma démission, ce que j’étais bien décidé à faire. M. Stolypine partageait entièrement mes sentiments et se préparait à me suivre dans la retraite.

Nous avions tous les deux, M. Stolypine et moi, à prendre certaines mesures en vue du grave événement qui se préparait. Lui, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, devait veiller au maintien de l’ordre public qui pouvait facilement être troublé par l’effervescence qui ne manquerait pas de suivre la dissolution de la Douma ; pour parer à cette éventualité, l’ordre avait été donné de faire revenir une partie des troupes de la Garde qui se trouvaient dans les camps d’exercice aux environs de la capitale. Quant à moi, il m’incombait de veiller à ce qu’aucune des ambassades ou légations étrangères n’eût à souffrir de cette effervescence ; il fallait surtout s’attendre à des démonstrations hostiles contre l’ambassade d’Allemagne, car l’empereur Guillaume passait dans le public pour donner à l’empereur Nicolas des conseils réactionnaires. Mais comme on ne pouvait pas ostensiblement protéger cette seule ambassade, il fallait prendre une mesure générale applicable à tous les représentants étrangers.

Dès le lendemain matin, j’adressai à tous les ambassadeurs et chefs de missions étrangères une circulaire les prévenant que des grèves étaient attendues dans quelques usines de la capitale et qu’un mouvement populaire pouvant en résulter, des détachements de troupes seraient postés dans la nuit du 21 au 22 juillet à proximité de leurs demeures pour leur accorder, en cas de besoin, toute la protection nécessaire. J’ajoutais que les troupes avaient ordre de ne franchir le seuil des locaux