Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

Du côté de la grande Allemagne, tout est péril pour la République tchéco-slovaque ; au Nord et à l’Ouest, l’Allemagne l’entoure et cherchera à la pénétrer ; elle saura faire patte de velours pour attirer vers ses ports le trafic de la Bohême et de la Moravie et pour nouer avec elles des relations d’affaires qui ne tarderaient pas à se transformer en une vassalité économique : l’engrenage est fatal. Et pourtant, c’est du côté de Vienne, d’où ne peut plus venir aucun péril pour l’indépendance de leur État, pourvu que les Allemands d’Autriche ne soient pas réunis à la grande Allemagne, que les Tchèques jettent des regards de défiance et d’hostilité : car la colère des peuples survit à la chute des rois. En Bohême, comme en Italie, le nom d’Autriche éveille des souvenirs si anciennement douloureux que la politique a quelque peine à se rendre compte que l’Autriche d’hier n’est plus qu’un fantôme, mais qu’il reste quelques millions d’Autrichiens de langue allemande dont le sort importe au plus haut point à la sécurité de la Tchécoslovaquie comme de l’Italie, et à la consolidation de la paix européenne. S’ils allaient se réunir à l’Empire (Reich) allemand, en qui ne sont pas mortes les passions dominatrices et pangermanistes, une même puissance serait établie à Berlin et à Vienne, tendrait la main aux Magyars, encerclerait de trois côtés la Bohème et dominerait, du haut des sommets tyroliens, les vallées italiennes. Le péril traditionnel, devenu illusoire, inquiète encore certains esprits et leur cache le péril réel d’aujourd’hui et de demain. N’a-t-on pas entendu, dans l’enivrement d’une indépendance nouvelle, des hommes sérieux, comme l’économiste M.C. Horacek, déclarer : « Nulle amitié avec Allemands et Magyars, pas de relations politiques et économiques, pas de conventions douanière, financière et ferroviaire. » Il est raisonnable en effet de n’avoir pas « d’amitié » pour de tels voisins, mais il est plus difficile de n’avoir pas de « relations » avec eux. Par la crainte chimérique de ressusciter l’Autriche, on rejetterait vers la grande Allemagne plus de six millions d’hommes qui parlent allemand, mais dont la grande majorité n’accepterait qu’en désespoir de cause de s’y voir englobés. Or l’Autriche, telle que les peuples la haïssaient, est morte et bien morte.