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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/58

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Devant Verdun, un jour, un régiment de zouaves vient pour la seconde fois occuper un secteur où, trois semaines plus tôt, il s’est battu : c’est un de ces beaux régiments qui se sont créé l’aristocratique privilège, versant plus de leur sang que d’autres, de remuer moins de terre ; dans l’intervalle, un régiment d’infanterie moins réputé a tenu la position. Les deux colonels visitent ensemble les lignes : « Qu’avez-vous fait en ces trois semaines ? » demande le colonel de zouaves. — « Voyez, répond l’autre, mes hommes ont établi sous le feu cette ligne téléphonique et aussi cette double piste en planches. — Ah ! puisqu’ils ont fait cela, monsieur, c’est donc qu’ils sont plus poilus que mes poilus ! »

Devant Verdun, un jour, à la nuit tombante, un chef de bataillon monte vers la première ligne pour y visiter ses hommes et les réconforter. La première ligne, c’est un cordeau, tendu au sol, qui court entre des trous d’obus : dans les trous d’obus, un par un, les hommes sont tapis. Il se penche sur l’une de ces cuves pleines de ténèbres, car la nuit est venue, toute noire, et, à voix très basse, car l’Allemand est là, il demande : « Ça va ? » Mien ne bouge, mais une voix, assourdie comme pour dire un secret, répond : « Ça va, mon commandant ; ils ne passeront pas. » Il marche plus loin, poursuit sa ronde : « Ça va ? » et de chaque trou ténébreux monte le même secret…

Où était-ce ? Au Mort-Homme ou à Froideterre ? A la ferme de Haudromont ou à la chapelle Sainte-Fine ? Qu’importe ? C’était « devant Verdun, un jour, » un jour quelconque de cette bataille où tant de jours furent pareils, et ces récits sans nombre, si beaux que pas un poète n’aurait su en inventer un seul, ces récits, dont chacun est sans prix, se ressemblent tous[1], comme se ressemblèrent les combats sans nombre de cette « bataille d’écrasement. »

Les Allemands avaient-ils vraiment inventé ce type de bataille, ou n’ont-ils fait que retourner contre nous notre méthode du 25 septembre 1915, en la portant seulement à un plus haut degré d’outrance, et comme en l’exaspérant ? Quoi qu’il en soit et supposé qu’on doive leur laisser ici le mérite d’avoir innové, il restera du moins que nous avons su presque aussitôt

  1. Les quatre qui sont donnés ici me viennent d’un seul officier, le commandant Éon, du 93e d’infanterie. J’en pourrais rapporter plus de cent autres, recueillis dans les six régiments d’infanterie de la 21e et de la 36e division.