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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/590

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ce qu’on éprouve, presque partout, à celui de 1919. Que l’on s’arrête, par exemple, dans une des salles de la Société nationale, celle où sont groupées les œuvres de M. Le Sidaner, de M. Montenard, de M. Braquaval, de M. Louis Picard et de M. Henri Duhem. Rien n’a troublé, depuis cinq ans, la quiétude parfaite de ces coins de France. Les Troupeaux de M. Duhem continuent à brouter paisiblement l’herbe des Flandres, au crépuscule, comme si rien, dans le ciel ni sur la terre, n’y menaçait l’être vivant, et c’est un rais de lune et non une fusée qui accroche à leur toison une lueur ; le Port de Saint-Valéry de M. Braquaval ne craint évidemment ni bombardement aérien, ni sournoise attaque de sous-marin : l’artiste n’aurait pas eu le loisir d’en noter ainsi la fine atmosphère. Cette Route poudreuse et blanche que M. Montenard déroule en long ruban aux environs de Toulon est vide et nul n’imagine que des migrations de peuples entiers, de nègres ou d’Américains, montés sur de tonitruants fardiers, viennent d’y passer en rafale. Enfin, si la Table de campagne de M. Le Sidaner est vide, elle aussi, et si, dans la profonde paix et le silence pénétrant de la solitude, elle évoque le mystère de figures inconnues, rien ne suggère qu’elle a été désertée par des jeunes hommes au son du tocsin, ou qu’elle attend le combattant qui peut-être ne reviendra pas. Pareillement, la Chambre de la Reine, à Versailles, de Mlle d’Estienne, cette demeure endormie dans la torpeur du vieux palais, à peine éclairée par un double filet de jour filtrant entre les volets comme à travers des paupières, sans une silhouette vivante dans l’enfilade de ses portes, sans qu’aucun pas vienne émouvoir ses lustres et leurs grappes de cristal : — quelle plus saisissante image de la Paix !

D’un bout à l’autre des Salons, voilà l’impression qui domine, — et elle est étrange. Que nul de nos maîtres n’ait cherché à figurer la bataille dans son ensemble et dans sa splendeur, c’est ce dont je serai le dernier à m’ébahir, — ayant, ici même et il y a déjà près d’un quart de siècle, montré que les guerres à venir ne seraient plus de beaux thèmes à tableaux, et pourquoi[1]. Mais que les nouveaux aspects du paysage

  1. « Ce n’est donc plus à la sculpture, ni à la peinture, mais à la littérature et à cette variété de littérature qu’on appelle psychologique et sociale que le combattant ressortira désormais. » (Revue du 1er août 1895. L’Esthétique des Batailles.)