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par la critique actuelle qui ne se puisse défendre, le plus logiquement du monde, par les principes que cette critique elle-même a posés. Dès l’instant qu’il n’est point nécessaire à une œuvre d’art qu’on y reconnaisse un aspect de la nature, le tableau ou la sculpture cubistes sont des œuvres d’art. Ce sont des interprétations conventionnelles de phénomènes subjectifs, que l’auteur a le droit de nous imposer. « Je vois ainsi, peut-il dire, et si la foule ne voit pas comme moi, qu’elle apprenne à voir ! » Ce ne serait que la réédition du mot fameux prêté à Whistler, un jour qu’il passait avec un ami sur le pont de Battersea et que cet ami lui faisait observer l’analogie du paysage avec les effets de ses tableaux : « Oui, la nature commence à m’observer… » A la vérité, il nous est plus facile de reconnaître des Whistler dans la nature, ou la nature dans des Whistler, que chez les cubistes. Mais ceux-ci répondront victorieusement qu’on ne les y a pas toujours reconnus, que leur tour viendra et qu’il suffira de quelques années pour que leurs tentatives, honnies aujourd’hui à l’égal des tentatives impressionnistes de Monet ou de Renoir, soient juchées par l’avenir à la place glorieuse où Monet et Renoir sont parvenus.

Ces raisonnements par analogie, en logique pure, ne valent pas grand’chose et, en matière esthétique, où tout est affaire de tact, de nuances et de subtiles comparaisons, ne valent rien. Mais ils font encore quelques dupes. Telle est l’étrange déduction, qui consiste à fixer les chances qu’une œuvre d’art a de durer dans l’admiration des siècles d’après le prix qu’un amateur vient de la payer… Il faudrait, pour que l’argument fût de quelque poids et le syllogisme bien ordonné, qu’on en établit la « mineure, » — c’est-à-dire que la postérité ratifie toujours le verdict des acheteurs. Or, cela n’arrive guère. On parle souvent des hausses énormes qu’atteignent certaines œuvres jadis méprisées : les chutes sont bien plus fréquentes, seulement on n’en parle pas, les possesseurs n’ayant point coutume de s’en vanter. Au vrai, fort ou faible, jamais un prix n’a été un critère. Il n’y a aucune commune mesure entre la valeur esthétique d’une œuvre d’art et sa valeur marchande, — surtout momentanée. Ce sont deux choses incommensurables. Un haut prix ne suffit même pas à donner à un objet le caractère d’ « œuvre d’art, » si le consentement général des gens qui aiment l’art le lui refuse. De ce que tel timbre-poste rarissime