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époque et de leur école dans leurs portraits que dans leurs autres œuvres. En se trouvant face à face avec le modèle, les réalistes se découvrent des dons de penseur, les idéalistes laissent leurs ailes au vestiaire, les truculents se calment, les agités cessent de gesticuler et, au contraire, les glacés, comme Ingres ou David s’animent, les luministes baissent leurs stores, les sombristes ouvrent leurs fenêtres. Tous se rejoignent dans l’effort de sincérité nécessaire pour reproduire une physionomie donnée. Parfois, il est vrai, c’est à contre-cœur que l’artiste y consacre ses forces. Il voit, là, un sacrifice, la tâche asservissante, le pain quotidien. Lawrence rêvait de peindre la Fable ou l’Histoire ; van Dyck ne se consolait pas de ne point faire de l’art religieux ; David eût toujours voulu faire battre des Grecs ; Ingres se fâchait quand on l’appelait « peintre de portraits » et entendait être qualifié « peintre d’histoire. » Heureusement pour eux, cette corvée leur a été imposée par les circonstances et nous aimons leurs portraits mieux que toutes leurs autres œuvres : c’est l’enfant appliqué et peu brillant, et dont on n’est pas fier dans la famille, mais qui, lorsque tous les autres ont mal tourné, sauve l’honneur du nom.

Aujourd’hui, il en est encore de même. Les portraits, aux Salons de 1919, sont innombrables, produits des travaux accumulés pendant quatre années, sans issues exhibitoires, au fond des ateliers. Leur mérite, sans doute, n’égaie pas leur profusion. Toutefois, ils sauvent toujours le renom de notre Ecole. Le Français est né portraitiste comme il est né critique. Il donne sa mesure et demeure dans la mesure dès qu’il est, aux prises directes avec la réalité.

Cette année, comme il fallait s’y attendre, il y a nombre de portraits militaires. Mais on est surpris de leur discrétion extrême et des places modestes qu’on leur a données : le portrait du Général de Castelnau par M. Jonas, du Maréchal Foch par M. Muenier, du Général Mangin par M. Bouchor, du Maréchal Joffre par M. Jacquier, de S. M. le Roi des Belges, en soldat, à cheval, accompagné de la Reine, par M. Albert Besnard ; les bustes ou statues du Maréchal Joffre par Belloc, du Général de Castelnau par M. Maurice Fabre, et du Maréchal Foch par M. Michelet ont un intérêt historique et documentaire, mais peu de chose de plus.

Les portraits « civils, » faits plus à loisir depuis cinq ans,