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dont on a la grille, apparaissent les seuls traits qui signifient quelque chose et dont la suite et la liaison donnent le sens cherché. Dans l’un comme dans l’autre, ce qui est le plus apparent et le plus considérable, c’est ce qui n’offre aucun intérêt. Pourtant, toute physionomie humaine diffère en quelque point de ses voisines. Quel est ce point ? Quel est ce trait de dissemblance avec l’Espèce ? Toute la tâche du peintre est de le découvrir. Une fois qu’il a déterminé le trait de dissemblance avec l’Espèce, c’est fait : il tient la ressemblance avec l’individu. Voilà pourquoi nous pouvons augurer, sans grande chance d’erreur, de la ressemblance d’un portrait dont nous ne connaissons pas l’original. Nous n’apercevons pas en quoi il ressemble à une figure que nous ignorons, mais en quoi il diffère de l’empreinte moyenne que les souvenirs de mille et mille figures aperçues ont déposée en nous. Voilà pourquoi, aussi, les photographies sont si rarement ressemblantes : elles enregistrent tout sans être- impressionnées par un trait plutôt que par un autre ; tout le texte humain, avec son fatras de mots inutiles, où sont perdus et dissimulés, çà et là, les deux ou trois caractères qui pourraient le révéler.

De plus, entre ces quelques caractères ou traits de dissemblance il y a, comme entre les mots révélateurs d’un texte cryptographique, une suite et une liaison. Un rapport étroit, bien que subtil et mal connu, unit les différentes caractéristiques d’un corps humain, dicte ses attitudes, détermine ses activités, — à tel point que, d’après l’épaule, par exemple, on peut préjuger non seulement du cou, des pectoraux, mais même des mouvements des jambes, des bras et des gestes de démonstration. Ce rapport qui fait un tout lié des diverses singularités individuelles, l’artiste, s’il veut arriver à déterminer parfaitement la ressemblance, doit aussi le saisir. On voit, par-là, combien est inférieur à la tâche le portraitiste à la mode, pressé d’aller à son club, qui dépêche en quelques séances une silhouette élégante et soyeuse, propre à enrager de jalousie des amies moins fortunées, mais impropre à révéler ce qu’a de singulier, en bien ou en mal, l’être humain.

Ce n’est pas que le seul travail, ici, suffise. La ressemblance est un « don. » Certains artistes l’ont naturellement parce que d’instinct, ils voient tout de suite le trait de dissemblance et ne voient que lui. D’autres doivent, au contraire, le dégager par une