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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/625

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note que, parmi les protestataires eux-mêmes, deux ont baissé la nuque en signe de contrition : seul, Robert Marion La Follette persiste jusqu’au bout dans son endurcissement, les bras noués sur la poitrine, la lèvre amère et sarcastique, mâchant de la Comme. Le speaker, cependant, assène sur la tribune trois vigoureux coups de maillet, comme pour y fixer dans le marbre la demi-heure historique dont nous sommes encore tout haletants. Le Congrès est dissous, la journée des journées a pris fin.

— Voilà nos fils les frères d’armes des vôtres, me dit une dame.

Fraternelles également sont les innombrables poignées de mains qu’échangent avec nous nos voisins, nos voisines, et l’on se sépare aux cris réciproques de « Vive la France ! Vive l’Amérique ! » Dans le couloir, nous nous attardons un instant devant l’une des hautes fenêtres qui donnent sur la place, au pied du Capitole. Dehors, le cortège présidentiel s’ébranle pour regagner la Maison Blanche. Nous regardons les automobiles gouvernementales s’éloigner dans l’éclat bleuâtre des lampadaires électriques. Des troupes de cavalerie, mandées, ce matin, de Fort Myer, les encadrent, sabres au clair. Et c’est la première fois, parait-il, depuis des éternités, que le Président des États-Unis rend visite aux Chambres en cet appareil. Il importait de le mettre à l’abri d’une balle pacifiste, partie de quelque browning germanophile.

Mais les derviches hurleurs du pacifisme se sont évaporés, il faut croire, car, lorsque nous nous retrouvons en plein air, les avenues de Washington, aux nobles perspectives versaillaises, s’étendent larges et vides, retombées à la solitude, au silence. Après nos huit ou neuf heures de claustration dans une enceinte physiquement et moralement surchauffée, qu’il fait bon marcher à la fraîcheur nocturne, les narines ouvertes, le cœur battant, l’âme comble à déborder des sublimes émotions que nous venons de vivre ! Une forte brise d’Occident, levée sans doute avec le soir, a désagrégé la banquise des nuages et creusé dans ses flancs un golfe d’azur sombre où vogue une lune resplendissante, taillée en trirème d’argent. Au sommet d’un des principaux hôtels de la ville flotte un gigantesque étendard constellé qui, puissamment éclairé d’en dessous par un projecteur invisible, semble épandre vers l’Est, là-bas, dans la direction de l’Europe, une pluie d’astres.