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faute de réserves fraîches, relevées dans leurs anciens secteurs par des troupes épuisées. Nul n’ignore que c’était alors en Angleterre le moment aigu de la crise des effectifs. L’armée anglaise, pour quelques mois, se trouvait dans un état tragique. Dans ces conditions, était-elle capable de supporter un nouvel assaut ? En écrasant la gauche anglaise après la droite, les Allemands ne faisaient qu’achever l’adversaire : l’ouvrage était à moitié fait, il n’y avait qu’à redoubler les coups. L’armée anglaise s’offrait d’elle-même à cette espèce de « poursuite. » Ainsi l’ennemi, par un brusque changement de direction, poursuivait en réalité le même dessein fondamental, qui est la destruction des forces de l’adversaire.

Voilà l’explication logique de la bataille, pour ceux qui veulent de la logique partout et qui admettent que tous les plans allemands se tiennent. Il est impossible, en effet, de fournir la preuve positive que cette action secondaire n’a pas été prévue dans le dessein original et tenue en réserve pour le cas où la manœuvre initiale n’aurait pas donné tout ce que l’état-major en attendait, ou au contraire, en cas de succès, pour en consommer l’effet par la déroute anglaise.

Deux faits semblent cependant contredire cette hypothèse. Il suffit de jeter les yeux sur l’ordre de bataille allemand en face de la gauche anglaise, pour constater toutes les apparences d’une action improvisée. On sait que cette partie du front est occupée par deux armées, la IVe (Sixt von Arnim) de la mer à la Lys, la VIe (von Quast) au Sud de cette rivière ; elles forment le groupe d’armées du Kronprinz de Bavière. Pour la nouvelle attaque, les Allemands ont concentré, entre le canal d’Ypres à Commines et le canal de la Bassée, vingt-sept divisions, dont six en réserve. De ces vingt-sept divisions, sept tenaient normalement le secteur le 28 mars. D’où vient le reste ? Dix descendent du front des Flandres, où on ne laisse qu’un rideau, cinq autres remontent du front de Lens, prélevées par conséquent sur les secteurs les plus voisins et massées rapidement sur place comme pour une grosse affaire locale. Cinq divisions seulement proviennent de la réserve générale. Il est clair que Ludendorff n’a consenti à y puiser qu’à regret et de la manière la plus parcimonieuse. Tout semble montrer qu’il n’y a eu là, dès l’origine, qu’une improvisation, un raccord imprévu sur le thème initial.