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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/682

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tripler la garde de police qui protégeait ses promenades.

La considération qui échappait à Metternich et à Alexandre devait aller à un troisième personnage dont son habileté finit par faire l’arbitre du Congrès. Le plénipotentiaire français, le prince de Talleyrand, avait rencontré à son arrivée toutes les préventions qui s’attachaient à son passé d’ancien serviteur de Napoléon et à sa situation de représentant d’un pays vaincu ; il eut l’art d’imposer à la fois sa personne et sa mission par le désintéressement et par la logique de sa politique. Alors qu’on dénonçait autour de lui les désirs de revanche de la France, il proclama son intention de ne rien réclamer pour elle en dehors des limites du traité de Paris. Aux convoitises particulières dont l’ouverture du Congrès avait signalé le déchaînement, il fut le seul à opposer une doctrine cohérente, propre à résoudre toutes les questions en litige et à concilier tous les intérêts en présence. A la distance d’un siècle, cette doctrine apparaît sans doute comme dépassée par les événements ; elle n’en garde pas moins une valeur pratique qui tient au sens bien français de la mesure dont elle était inspirée, à son caractère de compromis entre les excès de la force et les exagérations d’un idéalisme outré.

Elle reposait sur le double principe de la « légitimité » et de l’ « équilibre. » La légitimité, c’était le droit pour les princes dépossédés de recouvrer leur couronne ou leurs Etats, s’ils n’avaient pas souscrit aux violences dont ils avaient été les victimes ; il en résultait que l’Europe devait être reconstituée, au moins dans ses grandes lignes, sur les bases de son état territorial avant les bouleversements révolutionnaires. — Quant au principe de l’équilibre. Talleyrand lui-même le définissait comme « le rapport entre les forces de résistance et les forces d’agression des divers corps politiques. » En termes moins abstraits, il conduisait à combattre en Europe les progrès des grandes puissances, dont la force représentait une tentation inconsciente pour elles-mêmes et une menace permanente pour leurs voisins ; à tenter de les neutraliser les unes par les autres, en établissant entre elles une certaine balance de forces ; à favoriser enfin la formation à leurs côtés de petits États, qui pussent servir de barrières aux débordements de leurs ambitions. Ce principe avait inspiré en France toute la politique de l’ancien régime et rempli longtemps en