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« En Israël, il y a trois sortes de gens : les Israélites, les Juifs et les Juifs du Maroc. »

En sortant des quartiers arabes, on quitte une civilisation d’un caractère aisé, insouciant, ami du plaisir et du repos, enfantin jusque dans sa gravité et son désir du gain, pour trouver ici un monde effroyablement affairé. Tout ce Mellah s’agite, trafique, se marie, vit et meurt, sans paraître soupçonner son étonnante abjection. Bien plus, de cette ignominie s’élève une sorte de gaité satanique, un immense mépris pour tout ce qui n’est pas juif, un orgueil qui brûle en secret sous la servilité et la crainte. Et sans doute est-ce pour cela qu’au milieu de tant de misères le regard s’épouvante et le cœur ne s’émeut pas… L’autre jour, dans le souk des cuivres, je regardais un de ces Juifs, vieillard septuagénaire, aveugle, demi-nu, occupé à faire tourner une roue au fond d’une échoppe, éclairée par les feux verts et jaunes des métaux qu’on étame. Pauvre Samson aveugle ! Comment demeurer insensible ? Il semblait là depuis des siècles, attelé à cette roue comme à la roue de l’infortune. Et pourtant, ce qui affligeait le plus, ce n’était pas le spectacle de cette misère particulière, c’était de penser qu’il ne fallait rien moins que l’excès de cette détresse pour faire naître un sentiment qui partout ailleurs, au Mellah, est étouffé sous le dégoût…

Quand naguère je traversais les ghettos de Galicie, de Bohême et de Hongrie, et que je voyais ces Juifs sordides dans leurs souquenilles boueuses, je me disais : « S’ils me semblent si dégradés, si horribles, c’est qu’ils sont de misérables Orientaux, transportés à des centaines de lieues de leur ciel éclatant, dans des régions froides et brumeuses. Ils m’apparaîtraient sans doute tout à fait différents dans leurs contrées natales, loin de cette boue qui couvre leurs vêtements, loin de ces glaces où ils grelottent. Là-bas, dans leur pays de lumière, ils doivent retrouver, j’imagine, quelque propreté, quelque noblesse… » Et justement c’est le contraire ! Ici, ils se découvrent plus sales, plus vermineux qu’en Europe. Leurs robes noires, leurs calottes crasseuses attristent plus encore sous ce soleil éclatant. Et il leur manque à tous irrémédiablement la nostalgie de quelque Orient perdu que je croyais, là-bas, apercevoir au fond des yeux…

Le patriarche de cet enfer hébraïque est le bonhomme