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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/88

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certains flamingants. Le peuple belge n’était pas engagé par des exercices plutôt littéraires ; tous les esprits généreux en Belgique appréciaient les deux cultures et voulaient pour leur patrie les bienfaits de chacune ; ils tendaient cordialement une main à l’Allemagne et l’autre à la France, et ils se réjouissaient de leur amitié à toutes les deux.

Un mot du général Eenens exprime avec une parfaite netteté le sentiment qui était sous ce rapport celui de la Belgique entière. Il avait, comme inspecteur général de l’artillerie, guidé en 1867 le général français Lahure, envoyé de Napoléon III, dans sa visite du camp de Brasschoet ; et, au banquet qui suivit cette visite, il lui demandait ce qu’il pensait de l’artillerie belge, Lahure répondit qu’il ne pouvait former qu’un désir, c’est qu’en cas de guerre franco-allemande, l’armée belge formât l’aile gauche de l’armée française. A quoi le général Eenens répondit qu’elle n’y manquerait pas, à moins, dit-il, qu’elle ne soit obligée de devenir l’aile droite de l’armée allemande, pour repousser l’invasion française si celle-ci se produisait. La même idée était exprimée sous une autre forme par l’auteur de ces lignes l’année qui précéda le guet-apens. Après avoir raconté les tentatives faites au XIVe siècle par la France pour prendre pied dans les Pays-Bas par voie de pénétration pacifique, il montrait les Brabançons résistant avec non moins de fermeté aux exigences de l’empereur Sigismond, qui leur reprochait avec colère de vouloir devenir Français. Et il terminait son étude par ces mots : « Les pages qui précèdent montrent suffisamment que les Brabançons ne voulaient pas devenir Français, mais ils n’entendaient pas sacrifier leur indépendance une fois acquise, et depuis cinq siècles, entre la France et l’Allemagne, la Belgique reste fidèle à cette attitude[1]. »

En somme, le rêve des esprits généreux en Belgique, rêve exprimé un jour par Léopold II, était de voir leur patrie devenir une espèce de terre amphictyonique, une espèce d’Olympie où tous les peuples de la grande famille européenne se seraient trouvés chez eux sous la protection de l’hospitalité belge.

Au moment où nous sommes plus loin de ce but que jamais il sera permis à un Belge de se retourner avec de la colère vers les heures où ce bel idéal semblait promettre sa réalisation.

  1. Kurth, Feslschrift der Görresgesellschaft für Georg v. Hertling, p. 288.