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tique, l’hésitation n’était pas permise. Reçu par l’Empereur, dès le lendemain de la dissolution, il considéra comme un devoir d’accepter la lourde tâche qui lui était dévolue. Il posa cependant comme condition le renvoi immédiat de deux ministres, M. Stichinsky et le prince Schirinsky-Schihmatoff, qui s’étaient rendus impossibles par l’excès de leurs tendances réactionnaires ; en outre, il se réservait expressément de proposer plus tard à l’Empereur un remaniement plus complet du Cabinet en y adjoignant, conformément à notre plan primitif, des membres de la Douma et du Conseil de l’Empire.

Ce qui compliqua beaucoup la situation, ce fut l’attitude irréfléchie adoptée dans ces graves circonstances par un grand nombre de députés, attitude dont la responsabilité retombe, à mon avis, sur le parti cadet, puisque c’est ce parti qui exerçait une influence prépondérante au sein de la Douma. A cette occasion, — comme, hélas ! ils devaient le faire si souvent ! — les chefs de ce parti, et en premier lieu M. Milioukoff, se montrèrent des doctrinaires dénués du sens de la réalité et des contingences politiques ; c’est de son plein gré que le parti cadet renonça à jouer, à cette occasion, un rôle qui, avec un peu plus de sang-froid de sa part, aurait pu l’amener naturellement au pouvoir.

L’ukase qui prononçait la dissolution annonçait en même temps que la prochaine Douma serait convoquée le 5 mars 1907. En le signant, l’Empereur usait d’un droit appartenant à tout souverain constitutionnel et qui lui était expressément reconnu par la Charte de 1905 : à peine pouvait-on y relever une très légère incorrection, en ce qu’il ne fixait pas la date des nouvelles élections ; mais ce n’était là qu’une erreur de forme, et qui fut aussitôt réparée. L’acte du 21 juillet était en lui-même parfaitement constitutionnel ; c’était, comme on le fit remarquer dans la presse française, non un 2 décembre, mais un 16 mai. Le simple bon sens indiquait qu’il était tout à l’avantage du parti cadet de l’envisager comme tel : ce parti était sûr de remporter la victoire aux prochaines élections, et s’il avait conservé dans cette crise une attitude calme et réfléchie, il aurait eu toutes les chances de jouer dans la seconde Douma le premier rôle et d’y devenir, en qualité « d’opposition de Sa Majesté, » un parti de gouvernement.

C’est ainsi qu’on envisageait les choses à l’étranger, surtout en Angleterre. Lors de la dissolution, il se trouvait à