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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/110

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que j’emportai de cette journée : jamais cette impression ne s’est démentie. Aussi est-ce chez moi une conviction absolue, que la source à laquelle l’empereur Nicolas puisait sa sérénité était un profond sentiment religieux et une foi entière dans le caractère providentiel de sa mission. J’aurai l’occasion d’insister sur ce trait essentiel de son caractère, lorsque je m’essaierai à tracer son portrait ; mais je ne puis omettre de noter ici-même l’espèce d’exaltation mystique qui régnait dès cette époque dans l’esprit de Nicolas II et qui ne fit que s’accroître sous l’influence des événements tragiques de son règne et au contact d’une nature féminine encore plus exaltée que la sienne.

J’ai déjà dit que M. Stolypine s’était réservé de proposer à l’Empereur de remanier le Cabinet en y faisant entrer des personnages politiques pris en dehors de la bureaucratie ; conformément au plan développé dans le mémoire que j’avais remis à l’Empereur, son intention était de former un gouvernement de coalition dans lequel seraient représentés les principaux partis en présence à l’exception des groupes nettement révolutionnaires ; malgré l’attitude adoptée par les cadets, M. Stolypine ne renonçait pas à l’idée de faire entrer dans le Cabinet M. Milioukoff qui était sorti indemne de l’équipée de Wyborg. Dès le lendemain de sa nomination, il se mit à l’œuvre ; et tout d’abord il me pria de conserver dans le nouveau Cabinet le poste de ministre des Affaires Étrangères et de continuer à prendre part aux pourparlers engagés avec les personnages qu’il avait en vue pour les différents postes ministériels.

M. Stolypine habitait, à cette époque, aux environs immédiats de Saint-Pétersbourg, une maison de campagne ou « datcha » située dans l’une des iles de l’estuaire de la Néva ; cette maison appartenait à l’État et servait de résidence d’été aux ministres de l’Intérieur ; elle était d’apparence assez modeste, mais possédait un beau jardin. Ceux qui ont vécu à Saint-Pétersbourg en été connaissent le charme particulier de ces îles de la Neva aux innombrables villas qui se détachent sur un fond de verdure épaisse et se reflètent dans l’eau claire du fleuve. Comme j’étais installé en ville au palais du ministère des Affaires Étrangères, je me rendais chaque soir à la « datcha » de M. Stolypine pour y conférer avec lui et me rencontrer avec les différents personnages politiques qu’il y convoquait