Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

infidèle de la défunte chrétienté, l’Autriche avait cessé de défendre le nom chrétien. On avait en juin 1861 porté la croix devant le Habsbourg, dans les rues de Budapest ; et lorsque le jeune souverain qui venait ceindre la couronne de Saint Étienne, s’élançant à cheval sur le monticule où cinquante mottes de terre symbolisaient les cinquante comitats du royaume, avait fendu l’air de son épée dans la direction du Nord et du Sud, de l’Orient et du couchant, ce geste fringant et solennel avait évoqué les gloires d’une Hongrie bientôt millénaire, rempart de l’Europe contre l’Islam. Mais dix ans plus tard ces mêmes Magyars, qui avaient environné de cette pompe quasi sacerdotale cette façon de renouvellement des vœux de la Hongrie, se déchaînaient en faveur du Turc contre les chrétientés slaves des Balkans, et l’année 1877 voyait d’étranges souscriptions s’organiser dans Budapest pour armer d’une épée d’honneur le général de l’Islam qui avait vaincu le prince Milan. Moins de quarante ans se passaient, et l’un des buts de guerre imposés à François-Joseph par Guillaume II était de confirmer l’échec des croisades en maintenant le Grand Turc en possession des Lieux Saints.


Je te retrouve, Autriche ! — oui, la voilà, c’est elle ! —
Non pas ici, mais là, dans la flotte infidèle.
Parmi les rangs chrétiens en vain on te chercha.
Nous surprenons, honteuse et la tête penchée,
Ton aigle au double front cachée
Sous les crinières d’un pacha.


Ainsi Victor Hugo stigmatisait-il la politique autrichienne, au moment de Navarin. L’aigle au double front, en 1914, avait même cessé d’être honteuse.

Dans les sphères d’Eglise, où la fidélité des imaginations répond à la longue stabilité des horizons, et où l’on a le temps d’attendre, d’espérer et de durer, certains rêvaient encore d’une Autriche idéale, qui était tout le contraire de l’Autriche réelle ; et l’Autriche de François-Joseph bénéficiait encore de l’attachement longanime qu’ils vouaient à cette construction de leur esprit, baptisée du nom d’Autriche. Le gouvernement de Vienne savait profiter de cette équivoque : par de petites habiletés, par des complaisances extérieures, il essayait de mériter à bon marché les compliments officiels de l’Eglise, et parfois il les