Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombreuse. En dépit des avertissements qui lui parvenaient, l’informant d’un prochain attentat contre sa personne, M. Stolypine, dont j’ai déjà mentionné le courage, avait tenu à conserver à ses réceptions du samedi leur caractère de réceptions ouvertes : y étaient admises toutes les personnes qui avaient une requête à présenter au ministre, sans qu’elles eussent à montrer ni lettre de convocation, ni document quelconque d’identité : le contrôle était exercé par des agents de la police secrète qui se tenaient dans la première antichambre et dont l’œil expérimenté scrutait les visiteurs à leur arrivée. Dans la seconde antichambre, le général Zamiatine, haut fonctionnaire du Cabinet du ministre, assisté de quelques secrétaires, demandait aux arrivants leur nom et l’objet de leur visite. La troisième pièce, toute en longueur, servait de salle d’attente ; elle était contiguë au cabinet de travail du ministre qui était avec elle à angle droit et donnait sur le jardin. Toutes ces pièces étaient situées au rez-de-chaussée et correspondaient aux chambres occupées à l’étage supérieur, par les enfants de M. Stolypine.

La réception avait commencé à deux heures. Il y avait dans la salle d’attente une quarantaine de personnes des conditions les plus diverses : hauts fonctionnaires, financiers, provinciaux arrivés de la veille dans la capitale, employés retraités ou veuves d’employés sollicitant des pensions ou des secours, jusqu’à des paysans envoyés par leurs communes pour exposer leurs besoins au ministre. A deux heures et demie, un landau de louage amena au perron de la villa trois individus portant l’uniforme militaire ; lorsque ces individus pénétrèrent dans la première antichambre, les agents qui s’y trouvaient postés, s’apercevant probablement de quelque irrégularité dans leur tenue, leur barrèrent la porte qui donnait accès dans la seconde pièce. Soudain arrive de cette pièce le bruit d’une lutte su4vi du cri : « Vive la Révolution ! » Au même instant retentissait une effroyable explosion : dans la première antichambre, tout le monde fut tué, y compris les trois criminels dont on ne put même pas identifier les cadavres ; dans la seconde, le général Zamiatine fut grièvement blessé et les autres fonctionnaires tués ou blessés ; dans la salle d’attente, le tiers environ des personnes furent tuées, toutes les autres blessées. Ces trois pièces furent complètement détruites, et leur ruine entraîna