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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/355

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le flot de son ambition aurait pu venir et ce qu’il aurait pu submerger. Car la femme qu’il avait épousée, en premières noces, n’était autre que Marie de Bourgogne, fille et unique héritière de Charles le Téméraire. Il n’avait eu qu’à s’en louer. Elle « estoit très honneste dame et liberalle et bien voulue de ses subjectz et luy portaient plus de révérence et de craincte que au mary. Elle aymait fort son mary et estoit de bonne renommée, » dit Commynes. Mais il l’avait perdue, après cinq ans de mariage, et il avait perdu aussi le plus clair de son héritage. Il y avait déjà onze ans de cela et, depuis lors, il méditait un fructueux établissement.

La Bretagne lui aurait convenu assez et, pour y régner, il avait épousé, par procuration, la duchesse Anne. Celle-ci avait même déjà pris le titre de Reine des Romains, lorsque Charles VIII, sur cet échiquier bizarre qu’était la politique au XVe siècle, réussit à la souffler au futur empereur et en fit sa femme. D’où, brouille mortelle avec la France. Maximilien se retourna donc assez volontiers vers la fille du duc de Milan, la nièce du More, c’est-à-dire notre Bianca Maria Sforza. Elle n’apportait point de terre, mais de l’or : 300 000 ducats en dot proprement dite, et 100 000 de plus, secrètement, pour assurer à son oncle l’éventuelle investiture du duché de Milan. N’était-ce pas bien cher payer un titre chimérique et une aide plus chimérique encore, quand on songe à toutes les montagnes que les lansquenets de Maximilien devraient traverser, s’il leur fallait jamais venir au secours du nouvel oncle de leur roi ? C’est ce que la suite apprendrait sans doute.

En attendant, à la fin de l’année 1493, Milan était tout à la joie d’avoir enfanté une impératrice. On méprisait maintenant les princes et les rois, dont on avait, depuis vingt ans, rêvé de faire des gendres. L’imagination des poètes évoquait les plus grands princes de la Chrétienté, les dépeignait offrant successivement leurs filles à Maximilien, con gran tesoro e infinite promesse, mais le Roi des Romains,


Lascando gli altri sconsolati in doglie
Madonna Biancha tolse fer sua moglie.


Naturellement, il ne l’avait jamais vue : l’histoire ne dit même pas qu’il eût, quand il l’épousa, quelque idée de sa figure, comme nous qui connaissons, du moins, son portrait,