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il y a des siècles, les immenses hordes berbères qui se jetaient sur l’Espagne. A cette heure, il est aussi malaisé de se représenter, parmi ces solitudes, ces grands passages de guerriers, que d’imaginer ce sol de cailloux et de poussière redevenu verdoyant sous les moissons qui le couvrent au printemps. Et tout l’effet de ce lointain souvenir est de faire paraître plus misérable notre petite troupe perdue.

De loin en loin, comme un lambeau de parc ou de forêt épargné par un incendie qui aurait tout dévoré à l’entour, une magnifique oliveraie, de l’eau, de belles allées d’arbres, de larges perspectives profondes ou bien d’étroits sentiers couverts. Tout cela clos de murs (où n’y a-t-il pas de murs en Islam ?) mais de murs roses, croulants, pleins de brèches, de trous, et qui ne semblent là que pour réaliser une harmonie de couleur avec les arbres argentés, ou pour ajouter au paysage le romanesque d’une ruine... Ah ! qu’il est agréable de s’arrêter enfin dans un de ces endroits délicieux, de se laisser glisser de la selle brûlante, de courir se laver dans l’eau de la séguia qui court parmi les oliviers ! Des vignes géantes grimpent aux arbres ou forment des plafonds de feuilles et de fruits, soutenus par une architecture de roseaux. Là-dessous, des pastèques, des courges, des maïs d’un tendre vert humide. A l’orée de l’oliveraie, ou bien perdue dans les verdures, une ferme-château, une enceinte de terre, presque rose elle aussi, d’où surgit une haute tour carrée qui forme un charmant belvédère et un excellent poste pour fusiller les rôdeurs. A travers l’ombre ensoleillée on voit vaguer des troupeaux, des enfants demi-nus, des femmes qui, même laides ou défaites par l’âge, ont une allure si noble sous leurs misérables draperies ! C’est une Italie plus brûlée, de proportions plus larges, et où la vie antique se serait par miracle maintenue ; c’est le monde de Virgile, des Géorgiques, des Eglogues, avec un accent plus brutal qui tient sans doute au climat plus ardent, à la réalité même qu’on découvre ici telle qu’elle est, et non plus à travers la rêverie d’un poète de cour exquisement raffiné.

Accompagné de quelques serviteurs, le maître de l’oliveraie vient nous souhaiter la bienvenue et demander au lieutenant qui commande les Askris ce dont il a besoin pour lui, ses hommes et ses bêtes. Quelquefois, de la grande ferme rose on nous apporte du miel, du lait caillé en attendant le repas ;