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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/369

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on a cassé des œufs, un ragoût de mouton avec des aubergines, des courgettes et des piments, trois nouveaux poulets qui disparaissent sous des sortes de crêpes, une montagne de ces raisins noirs, blancs ou roses, qui pendent autour de nous en grappes fabuleuses à leurs architectures de roseaux, un couss-couss garni de viande et de légumes... quoi encore ? je ne sais plus... ce festin arrive trop tard : on est vaincu par le sommeil.

Mais la fatigue, mais le chant des crapauds et des grillons, mais la fiévreuse agitation des moustiques, mais le bavardage et la musique des infatigables Askris... comment arriver à dormir au milieu de tout ce tapage qui n’est fait que de petits bruits ? Une seconde, pourtant, tout s’apaise, tout se fait silence et oubli. Et voilà que déjà les Askris me réveillent pour jeter bas ma tente et la charger sur les mulets ! Instant. morose, en pleine nuit encore, sous l’oliveraie qui frissonne. Puis tout à coup, un cri, ou plutôt une courte phrase, fortement psalmodiée, que lancent toujours vers le ciel, au moment du départ, les guerriers marocains, pour appeler sur eux la bénédiction divine : « Que Dieu protège notre journée ! Nous demandons cela à notre Seigneur Mohammed ! » Dans l’aurore qui commence à poindre, l’impression est magnifique de cette grande clameur religieuse. Et cet appel répété par trois fois, à de courts intervalles, retentit au milieu de la nature étonnée, comme les premières mesures d’une symphonie qui s’appellerait : la journée orientale.


II. — LA RENCONTRE DU GLAOUI

Nous approchions du poste de Tanant. C’est en pleine montagne. Plus d’oliviers ; des chênes verts, des genévriers rabougris, de larges massifs d’euphorbe d’un vert de mousse gras et luisant, posés sur la pierraille comme d’énormes tortues vertes ; de loin en loin, sur un sommet ou dans le pli d’une étroite vallée, parmi des champs d’orge assez maigres et des vergers d’amandiers, une ferme-château percée de longues meurtrières, avec, aux quatre angles, une tour qui va s’amincissant par le haut...

Déjà on pouvait apercevoir le drapeau flottant sur le bordj, lorsqu’une trompe d’automobile surprit bizarrement nos oreilles